Il y a près de deux ans, en pleine bataille de Mossoul dans le nord irakien, une bombe est tombée sur la maison d’Alia Ali. Son mari a été tué, elle a survécu. Mais, depuis, elle n’entend plus.
Comme cette Irakienne de 59 ans, des milliers d’habitants de la cité reprise au groupe jihadiste Etat islamique (EI) en juillet 2017 vivent plongés dans un profond silence, ou ont toujours les oreilles qui sifflent. Les neuf mois de bombardements des troupes appuyées par les avions de la coalition internationale et les voitures piégées, drones et autres bombes des jihadistes ont fait grimper les problèmes d’audition. Une explosion ou un tir d’arme à feu avoisine 170 décibels, deux fois plus que le seuil de bruit qui endommage de façon irréversible le tympan humain. Quant aux éclats des mines, obus et autres projectiles, ils peuvent détruire membranes et conduits auditifs. «Les combats avaient lieu dans l’ouest de Mossoul et un avion a frappé notre quartier», se rappelle Alia Ali. Sa maison a été détruite, son époux «a succombé à de graves brûlures» et elle a dû réapprendre à interagir avec le monde extérieur dont elle n’entend désormais plus aucun son. Et ce, sans suivi médical puisqu’elle ne pouvait pas se payer de consultation après avoir tout perdu dans le bombardement de sa maison. A Mossoul, où la guerre a divisé par six le nombre de lits d’hôpitaux -seulement 1.000 aujourd’hui pour près de deux millions d’habitants-, les cliniques privées sont souvent l’unique option.
Centre d’accueil gratuit
L’année dernière, l’ONG irakienne Dary a rouvert plusieurs sections d’hôpitaux, pour les urgences et la gynécologie obstétrique. Elle a aussi installé un centre d’accueil gratuit pour les problèmes d’audition. C’est là que les oreilles d’Alia Ali ont été pour la première fois examinées, en avril. Tout comme celles de Fathi Hussein, 65 ans, qui n’entend quasiment plus rien depuis que «trois obus» se sont abattus sur sa maison en 2017. Dans ce centre, les soignants «ont équipé en appareils auditifs plus de 2.000 personnes souffrant des séquelles d’explosions depuis près d’un an», affirme à l’AFP le dr Mohammed Saïd. D’autres cas, «plus sévères», ont été transférés «à Bagdad», ajoute-t-il, notamment pour des poses d’implants électroniques impossibles à trouver à Mossoul et réservés aux surdités profondes ou aux patients souffrant d’acouphènes. «Il y a sûrement beaucoup plus de cas que ceux dont nous avons connaissance, car des patients ont été soignés dans le privé, ailleurs en Irak ou à l’étranger, et d’autres ne se sont toujours pas présentés», selon lui. Au plus fort des combats, lorsque des civils fuyaient les lignes de front et parvenaient à atteindre hôpitaux de campagne et camps de déplacés, jusqu’à «15 à 20 personnes se présentaient chaque jour pour des problèmes d’audition», se souvient un autre médecin. Pour certains, la gêne n’a été que passagère. Mais, pour d’autres, les combats à Mossoul -présentés comme parmi les plus violents de l’histoire moderne-, «ont détruit de façon irréversible de nombreux tympans ou parties de l’appareil auditif», explique Mohammed Salah, un médecin oto-rhino-laryngologue (ORL). Sur le moment, de nombreux civils ont subi «des saignements de l’oreille qui n’ont pas été traités».
Aller à l’école ?
Et, à ce jour, près de deux ans après la fin de la guerre, «cliniques privées et médecins libéraux sont toujours submergés pour des problèmes d’audition», indique l’un de ses confrères. Au-delà des traitements médicamenteux ou des appareillages, le parcours de certains patients s’annonce long, particulièrement chez les plus jeunes. Car pour les enfants, «une perte auditive est souvent synonyme de trouble de la parole», explique à l’AFP le docteur Saïd. «Ils ont besoin de traitements et de séances d’orthophonie inexistants à Mossoul». Mohannad, cinq ans, peine ainsi à s’exprimer. «Je n’ai pas d’argent et il n’y avait aucun hôpital public pour l’accueillir auparavant», se lamente sa mère, craignant que sa surdité ne l’empêche de trouver une école qui l’accepte, dans un pays où peu d’enfants handicapés sont scolarisés. Lancée dans une course contre-la-montre, elle espère toujours qu’il pourra faire la rentrée prochaine. Mohannad, lui, fait des efforts pour se faire comprendre. En ânonnant sous le regard attristé de sa mère, il répète: «je veux aller à l’école comme le fils du voisin Ahmed».