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INTELLIGENCE ARTIFICIELLE : Promesse technologique et défi civilisationnel

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L’intelligence artificielle (IA) s’impose comme la révolution du siècle. Déjà, les algorithmes influencent nos émotions et nos décisions, bouleversant la frontière entre l’homme et la machine. La vraie question n’est pas de savoir s’il faut l’accepter ou la craindre, mais comment en faire un levier de progrès humain.

Un « âge quantique social »

Depuis la révolution industrielle, la technologie visait à soulager l’effort physique. L’IA inaugure une étape nouvelle : elle ne se contente plus d’exécuter, elle participe à la pensée, à la créativité et même à la fabrication des émotions. Nous entrons dans ce que j’appelle un « âge quantique social ». L’expression s’inspire de la physique quantique, où une particule peut exister dans plusieurs états en même temps. De la même façon, dans l’ère numérique, la vérité devient relative, la confiance fragile et les certitudes multiples. Cette fragilité peut aussi être une chance : celle de redéfinir nos valeurs et de renforcer notre esprit critique.

Des algorithmes loin d’être neutres

Contrairement à ce que l’on croit, les algorithmes ne sont pas neutres. Conçus sur la base des sciences du comportement, de la psychologie et du marketing, ils orientent déjà nos choix. Utilisés à mauvais escient, ils peuvent nourrir la désinformation. Mais bien encadrés, ils deviennent de puissants alliés : soutien à la médecine, optimisation de l’énergie, aide à la mobilité durable. Ces mêmes mécanismes qui peuvent manipuler nos émotions peuvent aussi, bien utilisés, améliorer notre santé, nos mobilités et notre environnement. Tout dépend de la gouvernance que nous leur donnons.

Les algorithmes de l’IA : puissants mais biaisés

L’IA moderne repose sur des algorithmes d’apprentissage automatique entraînés sur des masses considérables de données. Ces systèmes ne suivent plus des règles fixes : ils détectent des corrélations, anticipent nos comportements et s’ajustent en continu.

Deux générations d’algorithmes

-Algorithmes classiques (déterministes) :

Ils suivent des règles fixes programmées par l’humain. Exemple : une formule de calcul d’impôt ou un GPS qui choisit toujours le trajet le plus court. Leur fonctionnement est transparent et prévisible.

– Algorithmes d’IA modernes (probabilistes) :

Basés sur l’apprentissage automatique, ils analysent d’immenses quantités de données pour détecter des corrélations et ajuster leurs réponses en permanence. Exemple : un système qui prédit vos goûts musicaux ou anticipe vos achats en ligne.

Leur force est d’apprendre seuls, mais leur faiblesse est l’opacité : il est souvent impossible d’expliquer précisément pourquoi ils donnent telle ou telle réponse.

Leur force est aussi leur faiblesse 

– Si les données sont biaisées, les résultats le seront aussi

Si l’objectif est purement commercial, l’algorithme privilégiera l’attention plutôt que le bien-être. En l’absence de transparence, il devient impossible de comprendre pourquoi une machine prend telle ou telle décision. Ces algorithmes reflètent les intentions de leurs concepteurs et de leurs financeurs. D’où la nécessité d’une responsabilité collective et de mécanismes de régulation comparables à ceux qui existent déjà dans la santé ou l’énergie.

Quand la voiture lit nos émotions

Dans l’automobile, les exemples abondent. Des constructeurs comme Porsche développent des systèmes intelligents capables de surveiller l’état émotionnel du conducteur (stress, fatigue, concentration) et d’y réagir en temps réel. La voiture n’est plus un simple moyen de transport, mais un espace hybride homme-machine. Dès lors, une question se pose : ces systèmes demeurent-ils de simples assistants, ou deviennent-ils des partenaires de décision capables d’influencer nos émotions, voire nos comportements ?

Construire une immunité cognitive

Pour profiter de l’IA sans en subir les dérives, il nous faut bâtir une immunité cognitive. Cela passe par :

-Réhabiliter la philosophie et la logique dans l’enseignement ;

-Enseigner la littérature numérique pour comprendre biais et manipulations ;

-Instaurer une éthique opérationnelle de l’IA dans les entreprises, fondée sur l’audit et la transparence.

-Plutôt que de subir l’IA, il s’agit de l’accompagner et de l’orienter selon nos valeurs.

Producteurs  et consommateurs

Les pays producteurs d’IA maîtrisent ses trajectoires et anticipent ses risques. Les pays consommateurs, eux, se contentent trop souvent d’importer des technologies façonnées par d’autres cultures et d’autres intérêts.

Le danger est double : perdre le lien avec le réel en s’enfermant dans des univers artificiels, et laisser se reconfigurer le désir collectif par des algorithmes biaisés.

« L’IA est devenue un acteur culturel et géopolitique qui recompose la conscience collective et l’affect humain. Les nations qui produisent et contrôlent ces technologies renforcent leur pouvoir, tandis que celles qui se contentent de les consommer risquent de perdre leur autonomie et leur souveraineté culturelle. »

Conclusion : une opportunité humaine

L’intelligence artificielle n’est pas seulement une technologie : c’est un acteur culturel et géopolitique qui influence notre manière de penser et de ressentir. Sans vigilance, elle peut fragiliser les liens sociaux. Mais bien orientée, elle peut au contraire les renforcer. L’IA ne doit pas être subie mais choisie. Elle peut devenir le moteur d’un renouveau humain, si nous savons la guider avec éthique, esprit critique et intelligence collective. L’avenir ne sera pas écrit par les algorithmes, mais par la capacité de l’humanité à les orienter vers plus de justice, de créativité et de sens.

Par le Dr Chaouki Smahi (Porsche AG, Allemagne) — tribune à titre personnel

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