Pour la deuxième journée consécutive, des dizaines de milliers de Palestiniens déplacés ont commencé à regagner les zones d’où les forces d’occupation sionistes se sont retirées, à la suite de l’entrée en vigueur, vendredi à midi, de l’accord de cessez-le-feu conclu entre la résistance palestinienne et Israël.
Depuis hier matin, un flot humain impressionnant se dirige vers le nord de la bande de Ghaza, à pied ou sur des moyens de transport de fortune. Des familles entières, portant sacs et valises, traversent les routes principales de Salah Eddine à l’est et Al-Rashid sur le littoral ouest, dans une marche lente et éprouvante de plusieurs heures. Certains empruntent des véhicules rares, faute de carburant, tandis que d’autres se déplacent sur des charrettes tirées par des animaux, des vélos ou des motos. Le retrait partiel de l’armée sioniste jusqu’aux abords du « ligne jaune », qui correspond à environ 53 % du territoire de Ghaza, a ouvert la voie à ces retours massifs. Dans la ville de Ghaza, l’armée a quitté la plupart des quartiers, à l’exception de Chujaïya et de certaines parties des quartiers d’Al-Tuffah et d’Al-Zeitoun. À Khan Younès, au sud, le retrait s’est effectué des zones centrales et de l’est. Mais les habitants se heurtent à une réalité déchirante : des centaines de maisons ont été totalement rasées, obligeant nombre de familles à dresser des tentes sur les décombres de leurs anciens foyers. « Nous rentrons, mais il n’y a plus rien à quoi revenir », témoigne Abou Khaled, un père de cinq enfants rencontré sur la route de Salah Eddine. Autour de lui, des enfants marchent pieds nus, tenant des sacs remplis de ce qu’ils ont pu sauver. Malgré tout, l’homme garde une lueur d’espoir : « Que ce cessez-le-feu tienne, que cette guerre ne revienne jamais. » L’accord de cessez-le-feu, entré en vigueur vendredi à 12 h (heure d’El-Qods), a été approuvé par le gouvernement sioniste à l’aube, après des semaines de négociations intenses. Toutefois, celui-ci n’a été validé que dans sa «première phase», selon le quotidien Times of Israel, qui indique que les ministres n’ont pas voté la fin de la guerre, mais seulement une trêve temporaire liée à un plan plus large proposé par le président américain Donald Trump. Selon les termes de l’accord, la résistance palestinienne et Israël doivent entamer un processus d’échange de prisonniers, dont la mise en œuvre reste suspendue à la validation définitive des listes.
L’épineuse question des prisonniers palestiniens
Vendredi soir, le ministère sioniste de la Justice a publié une liste de 250 prisonniers palestiniens condamnés à la réclusion à perpétuité, mais celle-ci ne comprend pas plusieurs figures emblématiques : Marwan Barghouthi, dirigeant du mouvement Fatah, Ahmad Saâdat, secrétaire général du Front populaire de libération de la Palestine, ni encore Ibrahim Hamed et Hassan Salameh, deux responsables de la résistance palestinienne. Un porte-parole du bureau des prisonniers de la résistance a réagi : « Aucun accord officiel n’a encore été conclu sur les noms ». Des sources au sein des factions palestiniennes ont confirmé que les discussions se poursuivent, certains médiateurs exerçant des pressions pour inclure les figures majeures que Tel-Aviv continue de bloquer.
Une ville dévastée et meurtrie
Alors que les habitants regagnent leurs quartiers, les services de secours ont annoncé avoir récupéré les corps de plus de 80 martyrs dans plusieurs zones du territoire, dont plus de 70 dans la seule ville de Ghaza. Les autorités locales estiment que des centaines d’autres victimes restent encore sous les décombres ou dans les rues bombardées.
Le bureau d’information du gouvernement de Ghaza a évalué les pertes économiques et matérielles initiales à plus de 70 milliards de dollars, touchant les infrastructures vitales : hôpitaux, écoles, réseaux d’eau et d’électricité. « Le niveau de destruction dépasse tout ce que nous avons connu », a déclaré un ingénieur municipal. « Les zones entières de Ghaza sont devenues méconnaissables. » Un responsable de l’ONU a annoncé que de vastes livraisons d’aide humanitaire débuteront dimanche, afin d’approvisionner les populations dans les zones récemment évacuées. Des milliers de tonnes de vivres, de médicaments et d’équipements médicaux seraient prêtes à entrer dans la bande de Ghaza, bloquées depuis plusieurs semaines aux postes frontaliers. Cependant, les habitants redoutent que le blocus persiste sous d’autres formes. Les forces sionistes interdisent toujours l’accès à certaines zones : les villes de Beit Hanoun et Beit Lahia au nord, Rafah au sud, ainsi que l’ensemble du littoral restent fermés.
Pressions et calculs internationaux
À Washington, les responsables américains ont confirmé l’envoi de 200 militaires pour « superviser » l’application du cessez-le-feu et la mise en place d’un centre de coordination civilo-militaire. Le président Trump, quant à lui, prévoit de tenir un sommet international sur Ghaza lors de sa visite en Égypte la semaine prochaine. Selon la chaîne publique israélienne, sa halte en Israël sera écourtée à six heures seulement, signe de tensions persistantes.
Sur la scène européenne, Londres, Paris et Berlin ont appelé le Conseil de sécurité de l’ONU à soutenir pleinement le plan américain. Une position qui, pour nombre d’observateurs, reflète davantage une volonté d’appuyer Washington que de répondre aux aspirations palestiniennes à la paix et à la reconstruction. Le calme précaire qui plane sur Ghaza n’efface ni les ruines ni les deuils. Le retour des déplacés s’apparente moins à une libération qu’à un acte de résistance — celui de reprendre pied sur une terre exsangue, mais toujours habitée par la volonté de vivre. Les jours à venir diront si ce cessez-le-feu marque enfin la fin d’une guerre d’anéantissement ou seulement la pause d’un cycle tragique encore inachevé.
M. Seghilani