Ghaza n’est plus seulement une bande de terre exiguë au bord de la Méditerranée. C’est aujourd’hui un territoire transformé en prison à ciel ouvert, où chaque souffle, chaque goutte d’eau, chaque bouchée de pain est comptée.
Depuis le 7 octobre 2023, le siège sioniste, déjà étouffant depuis plus de 16 ans, s’est resserré jusqu’à atteindre un niveau d’asphyxie totale. Plus de 2,3 millions de personnes, dont plus de la moitié sont des enfants, vivent dans un univers où les besoins les plus élémentaires comme se laver, manger, se soigner, dormir sans peur sont devenus des privilèges rares. Ce n’est pas seulement la guerre qui tue à Ghaza. Ce sont les coupures d’électricité, les convois humanitaires bloqués, les médicaments qui n’arrivent pas, les champs détruits, l’eau contaminée.
Et derrière tout cela, une stratégie politique assumée : affaiblir un peuple, l’épuiser, le pousser à l’exil ou à la soumission. Les images parlent d’elles-mêmes : des quartiers entiers rasés, des hôpitaux éventrés, des écoles réduites en tas de gravats. Selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires de l’ONU (OCHA), plus de 60 % des habitations de Ghaza ont été détruites ou gravement endommagées en moins de six mois. La destruction n’est pas aléatoire : elle vise les infrastructures vitales — stations de pompage d’eau, réseaux électriques, boulangeries, marchés. Le blocus empêche l’entrée de produits jugés « à double usage » — catégorie si large qu’elle inclut savon, désinfectants, pièces pour pompes à eau, générateurs et même crayons d’école. Les ONG parlent d’un « blocus de la dignité » : on laisse passer juste assez pour éviter une famine massive et immédiate, mais pas assez pour vivre dans des conditions humaines. Samira, mère de trois enfants réfugiée dans une école de l’UNRWA, raconte « Ici, on se lave avec un demi-seau d’eau pour toute la famille.
Le savon, c’est un luxe. Mon plus petit a une infection de la peau, le médecin dit qu’il faudrait une pommade, mais il n’y en a pas. Les démangeaisons l’empêchent de dormir. Moi, je me dis que s’il avait de la fièvre, on ne pourrait rien faire. » Les épidémies de gale, de poux et de diarrhées explosent. L’OMS avertit : dans les abris surpeuplés, une simple infection respiratoire peut devenir mortelle pour un enfant mal nourri. Pourtant, les convois médicaux restent bloqués des jours, parfois des semaines, aux points de passage.
La famine sévit
Si le manque d’hygiène est une arme lente, la faim est un couperet. Depuis octobre 2023, Israël a coupé presque totalement les livraisons de nourriture. Les rares convois autorisés ne représentent qu’une fraction des besoins. La FAO estime que 100 % de la population de Ghaza est en insécurité alimentaire sévère. Le prix des denrées a explosé : un kilo de farine se vend plus de dix fois son prix d’avant-guerre. Les familles survivent avec un repas par jour, parfois composé uniquement de pain sec et de thé. Les champs et vergers sont bombardés ou rendus inaccessibles par les combats. Les pêcheurs n’ont plus le droit de prendre la mer. Le docteur Youssef, pédiatre à Rafah, explique « Les enfants arrivent avec des ventres gonflés, des cheveux qui tombent, des corps sans muscles. C’est la malnutrition sévère. On leur donne des biscuits enrichis quand on en a, mais souvent il n’y en a pas. Alors, on leur donne de l’eau sucrée. Ce n’est pas un traitement, c’est juste pour gagner du temps. » Le droit international humanitaire interdit l’utilisation de la faim comme méthode de guerre. Pourtant, des documents internes du gouvernement israélien — révélés par la presse — montrent que la restriction des biens essentiels est une politique délibérée. La Cour internationale de justice a ordonné en janvier 2024 à Israël de prendre « toutes les mesures en son pouvoir » pour prévenir un génocide, y compris en permettant l’acheminement de l’aide humanitaire. Mais sur le terrain, les camions restent bloqués à Kerem Shalom ou Rafah, pendant que les habitants de Ghaza font la queue des heures pour un sac de farine.
Vers l’occupation totale
En février 2025, le cabinet sécuritaire israélien adopte un « plan post-guerre » pour Ghaza. Officiellement, il s’agit de garantir la « sécurité d’Israël » en empêchant toute résurgence militaire. Concrètement, le texte prévoit le maintien d’un contrôle militaire total sur le territoire, avec des « zones sécurisées » et des points de contrôle permanents. Le Premier ministre Benyamin Netanyahu présente cela comme une mesure transitoire. Mais l’histoire récente de la Cisjordanie à El Qods montre que ce type d’occupation « temporaire » peut durer des décennies. Même au sein de l’armée, des voix s’élèvent pour dire que cette stratégie est irréaliste et dangereuse, car elle nécessiterait un déploiement permanent de milliers de soldats dans un territoire hostile. De 1967 à 2005, Ghaza était sous occupation militaire directe. Les colonies israéliennes, installées sur 30 % du territoire, bénéficiaient de routes réservées et de la protection de l’armée. Le retrait unilatéral de 2005 n’a pas mis fin au contrôle israélien, mais a transformé Ghaza en enclave bouclée par terre, mer et air. Le plan Netanyahu marque un retour explicite à la phase d’avant 2005, mais dans un contexte où la majorité des infrastructures ont été détruites et où la population est au bord de la famine.
L’ombre qui s’allonge
À Ghaza, il ne reste plus grand-chose à détruire matériellement. Mais une guerre peut aussi se gagner ou se perdre sur le terrain invisible de la survie quotidienne.
Priver un peuple de nourriture, d’eau, de soins, de liberté de mouvement, c’est le réduire à une existence précaire où chaque jour devient une bataille. Ce qui se joue aujourd’hui n’est pas seulement la reconstruction ou non de Ghaza. C’est la survie même d’une société. Les choix faits par la communauté internationale dans les semaines et mois qui viennent diront si elle accepte qu’un siège devienne un outil politique légitime au XXIe siècle — ou si elle décide enfin que la vie d’un enfant à Ghaza vaut autant que celle de n’importe quel autre enfant, partout ailleurs.
M. Seghilani












































