Depuis l’entrée en vigueur du cessez-le-feu à Ghaza jeudi dernier, des dizaines de milliers de familles déplacées ont commencé à regagner leurs foyers dans la ville de Ghaza et le nord de la bande. Mais pour des milliers d’autres, le retour reste impensable. Les maisons détruites, l’absence d’infrastructures et la crainte d’une nouvelle violation de la trêve par l’armée israélienne pèsent lourdement sur les décisions. À l’entrée du camp de Maghazi, au centre de la bande de Ghaza, des dizaines de familles vivent toujours dans des tentes de fortune dressées aux abords d’une décharge. Les conditions y sont déplorables. Parmi elles, Fatima Ghabn, originaire de Beït Lahia, explique qu’elle ne retournera pas de sitôt : « Ma maison a été totalement détruite. Nous vivons ici à huit dans une tente, et je redoute que l’armée israélienne ne rompe encore une fois le cessez-le-feu». Elle raconte avoir déjà tenté de rentrer chez elle lors d’une trêve précédente, avant d’être forcée à nouveau de fuir face au retour des bombardements. « La dernière fois, c’était il y a à peine un mois », confie-t-elle.
Un cessez-le-feu sous haute tension
Après 735 jours d’agression israélienne, un accord de cessez-le-feu parrainé par l’Égypte, les États-Unis, le Qatar et la Turquie est entré en vigueur jeudi à midi. Cette trêve a permis à une partie des déplacés de tenter un retour, souvent périlleux. Faraj Alian, originaire du camp de Jabalia, n’envisage pas de rentrer. «J’ai vu la mort de mes yeux », dit-il. Son quartier est entièrement rasé, sans eau, sans routes, sans vie. «Quand j’étais là-bas, un jeune homme a été tué par un drone israélien. Je ne reviendrai pas pour risquer la même chose. » Lui aussi avait essayé de réintégrer sa maison lors de la trêve de janvier. Il avait alors réussi à restaurer une partie de son logement endommagé. Aujourd’hui, tout est détruit. « Il n’y a plus rien, ni infrastructure, ni écoles, ni réseau d’eau. Je préfère rester déplacé».
Des trêves sans lendemain
Israël avait déjà rompu la trêve de janvier, poursuivant son offensive sur Ghaza. Une situation que connaît aussi Wael Khcheïch, déplacé de Beit Lahia. Il raconte avoir tenté de rejoindre son domicile pour constater les dégâts avant de ramener sa famille. « À peine arrivé, des tirs ont éclaté. Nous avons dû fuir». Khcheïch vit aujourd’hui dans une tente avec treize membres de sa famille, à proximité d’une décharge et de canalisations d’eaux usées. «Nous dormons dans le froid et les insectes nous envahissent. Mais je préfère rester ici plutôt que de risquer la mort en rentrant au nord». Sur la route Salah El-Din, qui coupe la bande de Ghaza du nord au sud, Issam Al-Sarsawi, originaire du quartier de Chujaïya, s’est installé depuis un mois dans une tente. « Ma maison était belle et spacieuse. Je rêve d’y retourner, mais la zone reste trop dangereuse et je ne fais pas confiance à l’occupation». Lui aussi doute de la sincérité de la trêve : «L’armée continue de tirer, même à proximité des zones désignées comme sûres. Personne ne sait vraiment où passe la ligne du cessez-le-feu».
Le nord ravagé, le sud saturé
Plus d’un demi million de personnes ont fui la ville de Ghaza et sa région nord lors de l’offensive israélienne lancée le 3 septembre. Les bombardements intensifs, les explosions de blindés piégés et la destruction systématique des maisons ont poussé des foules entières sur les routes. Au sud, la situation n’est guère meilleure. À Rafah et Khan Younès, des milliers de familles vivent encore dans des abris de fortune, notamment dans la zone d’El-Mawassi. Mahmoud El-Nayrab, père de quatre enfants, raconte son exil forcé : « Je vis ici depuis un an et demi. Ma maison, dans le quartier saoudien de Rafah, est détruite, et la zone est interdite d’accès. Elle est trop proche de la frontière égyptienne». L’armée israélienne continue d’empêcher le retour des habitants dans plusieurs zones de Rafah et de Khan Younès. Mardi, trois civils ont été abattus alors qu’ils tentaient de rejoindre leurs maisons à l’est de Khan Younès.
Un territoire méconnaissable
Selon un rapport du Times britannique, la destruction de la bande de Ghaza atteint un niveau « sans précédent depuis la Seconde Guerre mondiale ». Les images satellites prises fin septembre 2025 révèlent que 83 % des bâtiments du territoire sont endommagés, dont plus de 17 700 totalement rasés. Dans certaines villes, comme Khan Younès, ou Ghaza, des quartiers entiers ont disparu de la carte. La superficie des zones détruites a augmenté d’un tiers en un seul mois, preuve de l’intensité extrême des dernières semaines de bombardements. Les experts estiment que le déblaiement des décombres prendra au moins deux ans, et que la reconstruction s’étendra sur une décennie, pour un coût dépassant les 50 milliards de dollars. Ce serait l’une des plus vastes opérations de reconstruction de l’époque contemporaine, visant non pas une ville, mais un territoire tout entier. De nombreux corps restent ensevelis sous les ruines, hors de portée des équipes de secours, faute d’équipement et en raison des tirs continus. Le silence des canons ne suffit pas à apaiser les plaies d’un peuple qui n’a plus de toit, ni d’école, ni d’hôpital. Le cessez-le-feu, aussi précaire soit-il, reste pour beaucoup le seul souffle d’espoir dans un territoire où tout — du ciel aux murs — porte encore l’empreinte de la guerre.
M. S.