Le prédicateur, qui vit aux États-Unis depuis 1999, a nié être l’instigateur du putsch avorté. Depuis 2013, ses partisans sont visés par Ankara.
À peine arrivé à l’aéroport d’Istanbul, après l’échec de la tentative de putsch, le président turc Recep Tayyip Erdogan a accusé… la Pennsylvanie d’être responsable du coup d’État manqué. « Ils ont été manoeuvrés depuis la Pennsylvanie », a-t-il déclaré en parlant des auteurs du coup. Le président faisait référence en fait à Fethullah Gülen, un iman turc de 75 ans qui vit depuis des années en exil dans une énorme propriété en Pennsylvanie et est son ennemi juré. Il l’accuse de mettre en place secrètement un pouvoir parallèle en noyautant notamment la police et la justice.Fethullah Gülen, qui est reclus et parle très peu aux médias, a aussitôt dénoncé « dans les termes les plus forts » le coup et a affirmé qu’il n’avait ni commandité ni inspiré la rébellion. « Le gouvernement doit être gagné, non par la force, mais pas un processus d’élections libres et justes. Pour moi qui ai souffert sous de multiples coups militaires depuis cinquante ans, c’est particulièrement insultant d’être accusé d’avoir des liens avec une telle tentative. Je nie catégoriquement ces accusations. »
Une puissante confrérie
Hizmet (le service), le mouvement de Fethullah Gülen, prône un islam sunnite modéré, tolérant, hérité du soufisme qui a du succès auprès des classes turques éduquées. Il défend la paix et le dialogue œcuménique. Gülen avait de bons rapports avec le pape Jean-Paul II. Il affirme aussi que la démocratie et l’islam sont compatibles. Le mouvement aurait, dit-on, des millions d’adeptes et est à la tête de toute sorte d’entreprises, dont une banque, une mine d’or, et surtout des écoles dans plus de 140 pays, y compris aux États Unis où il en dirigerait plus d’une centaine, notamment au Texas.
Il défend l’importance de la science, de l’éducation, et les établissements sont mixtes. « Étudier la physique, les mathématiques et la chimie revient à adorer Dieu », a-t-il déclaré.
Mais les critiques contre lui ne manquent pas, y compris aux États Unis. Ses détracteurs clament que ces écoles, qui ont récupéré des millions de subventions publiques et nient toute relation avec la confrérie, servent en fait à faire venir des enseignants turcs qui doivent verser une partie de leur salaire au mouvement et qu’elles privilégient des fournisseurs turcs. À plusieurs reprises, le FBI et d’autres agences fédérales ont mené des enquêtes. Gülen a fui la Turquie et vit en exil aux États Unis depuis 1999. Un de ses sermons à cette époque semble appeler à un État islamique et pousse ses membres à infiltrer les échelons du pouvoir en « empruntant les artères du système sans que personne ne remarque votre existence, jusqu’à ce que vous arriviez aux centres du pouvoir ». Gülen a toujours dit que ses propos avaient été manipulés, et il a été acquitté en 2008.
Purge
Il a longtemps été l’allié d’Erdogan, soutenant sa mise en place d’un gouvernement conservateur. Mais les rapports se sont détériorés en 2013, lorsque Erdogan, alors Premier ministre, éclaboussé par des accusations de corruption, a décidé de fermer un certain nombre d’établissements scolaires appartenant à Hizmet. Erdogan accusait Gülen d’avoir été à l’origine de l’enquête qui inquiétait ses fils et son entourage.
Depuis, il a appelé à son extradition, a désigné Hizmet comme un groupe terroriste et a tout fait pour confisquer ses intérêts. Le gouvernement a pris le contrôle de plus d’une vingtaine de filiales détenues par un groupe proche de Gülen, dont une banque et deux stations de télé. Il a également le contrôle du quotidien Zaman , accusé d’être pro-Gülen, et nombre des militants de l’organisation dans la police notamment ont perdu leur emploi ou ont été mutés.
Même si le mouvement se fait le chantre d’un islam modéré et défend la démocratie, il inquiète les antireligieux, qui dénoncent son influence secrète et s’interrogent sur son but réel.
Ils critiquent aussi ses moyens financiers considérables et l’opacité de l’organisation. Si rien ne laisse croire jusqu’ici à une implication des pro-Gülen dans le coup d’État de cette semaine, cela donne en tout cas une occasion rêvée à Recep Erdogan pour continuer sa purge des adeptes d’Hizmet. Au-delà des centaines de militaires qui ont été arrêtés depuis samedi, quelque 2 745 juges sont sous le coup d’un mandat d’arrêt.
Selon l’agence Dogan, 44 juges et procureurs ont été arrêtés dans la nuit dans la ville de Konya (centre) et 92, dans celle de Gaziantep (sud-est). Quant à la chaîne de télévision NTV, elle annonce qu’un des 17 juges de la Cour constitutionnelle turque a été arrêté pour un motif inconnu.