Dossier réalisé par Lamia Boufassa et Anissa Naït Chalal
Nos routes ne sont plus sûres, le danger nous guette dès qu’on se met à bord de notre véhicule, dans un taxi ou dans un bus. La mort nous poursuit, que nous soyons bons conducteurs ou que nous ayons les bons réflexes. Pire, même les piétons ne sont pas épargnés. Hélas, les accidents de la circulation fauchent quotidiennement des vies. Ces vies tellement précieuses qu’on perd à cause d’un geste d’inconscience, de maladresse ou parfois de pure folie. La mort sur la route est devenue aujourd’hui chose banale qui ne fait peur à personne. La situation qui tend à s’aggraver nécessite davantage d’attention d’autant plus qu’une panoplie de solutions existe et qui n’attend qu’à être appliquée pour stopper l’hécatombe et sauver ce qui est le plus cher pour l’être humain, la vie. Or, en dépit des voix qui ne cessent de s’élever pour crier « halte » aux massacres des routes, le drame persiste en attente d’une véritable politique de prévention.
Les chiffres de la DGSN qui donnent froid au dos
Les chiffres de la Sûreté nationale, témoignent du constat amer. En effet, les accidents de la circulation continuent à endeuiller des familles. Malgré les nombreuses campagnes de sensibilisation, ce fléau fait chaque année des milliers de morts et de blessés, dont résultent souvent des handicapés à vie. Les chiffres qui nous ont été communiqués par le directeur de la prévention routière à la Direction générale de la Sûreté nationale (DGSN), le commissaire divisionnaire Ahmed Naït El-Hocine en sont la preuve et donnent froid dans le dos. En effet, ces derniers évoquent une moyenne de 44 accidents par jour dans les zones urbaines. Ainsi, le nombre d’accidents qui a engendré quotidiennement 62 blessés et 2 morts, nous a précisé le commissaire divisionnaire qui affirme que le bilan annuel des services de police établi en zones urbaines, fait état de 16 245 accidents de la circulation routière contre 17 383 accidents enregistrés durant l’année 2014 soit, une légère baisse de -6,54%. Ces mêmes accidents ont ainsi engendré 19 337 blessés en 2015 contre 20 717 blessés en 2014, soit une baisse de -6,66%. Idem pour le nombre de décès qui a connu pour sa part, une très légère diminution de -2,29%. En effet, les accidents corporels de la circulation routière ont fait 809 morts en 2015, alors qu’en 2014, il a été recensé 828 décès. Selon le commissaire Naït El-Hocine, le facteur humain reste en tête de liste des causes principales des accidents de la circulation avec un taux de 98,42%. L’état des routes et de l’environnement suit avec un taux de 0,86% puis vient l’état du véhicule en troisième position avec un taux de 0,72%. S’agissant du bilan relatif au premier mois de 2016. Celui-ci n’est guère réjouissant. En effet, rien qu’au premier mois de l’année en cours, soixante personnes ont été tuées et 1 618 autres blessées dans 1 367 accidents de la route enregistrés par les services de Sûreté nationale en milieu urbain.
Hausse de 80% des activités préventive et de sensibilisation
D’autre part, les mêmes services ont enregistré durant la même période 6.199 infractions routières, 1 734 infractions avec mise en fourrière de 3.185 véhicules, 85.099 amendes forfaitaires et le retrait de 22.028 permis de conduire. Ces chiffres ne dissuadent pas les services de la Sûreté nationale à lutter contre le fléau. Dans ce sillage, le commissaire Naït El-Hocine a rappelé les efforts déployés par les services de polices. « On a enregistré une hausse de 80% des activités préventives et de sensibilisation », nous-a-t-il assuré, tout, en affirmant que les actions répressives ont connu une hausse de 40% durant l’année dernière, ce qui s’est répercutée positivement sur la baisse du nombre d’accident, même si cette baisse est « timide ». Ce chiffre témoigne l’intérêt accordé par les services de police à la sécurité routière, nous a expliqué le commissaire divisionnaire. De plus, il signalera que les actions de sensibilisation se sont chiffrées en 2015 à 448.903 actions destinées aux écoles et circuits d’éduction routière. S’agissant des actions de dissuasion, le colonel nous a affirmé que celles-ci ont atteint durant l’année dernière 1 900 787 actions menées. Le chiffre est impressionnant mais ne fait que preuve que la présence policière est « obligatoire », afin d’imposer l’implication de lois aux conducteurs. De surcroit, le commissaire divisionnaire nous a indiqué que les services de police ont procédé à 1 255 064 actions répressive en 2015, dont, 219 117 retraits de permis et 866 691 amandes délivrées.
Revoir les modalités d’accès à la conduite
Dans un autre sillage, la DGSN pense avoir trouvé la faille et réclame une révision de certaines dispositions législatives et réglementaires, afin de pouvoir agir plus efficacement contre les accidents de la circulation. Selon le commissaire Naït El-Hocine, des insuffisances ont été relevées dans le dispositif réglementaire, notamment au niveau de l’accession au permis de conduire, de la qualité de la formation au niveau des auto-écoles et du système de sanction actuel, qui ne distingue pas les contrevenants primaires des contrevenants multirécidivistes. Ainsi, tout en rappelant que la disposition au niveau de la loi qui prévoit que l’éducation routière doit être enseignée au niveau des établissements scolaires, notre source a regretté que celle-ci n’est toujours pas applicable. Egalement, tout en affirmant que 50% des victimes sont des piétons, il a fait savoir que ces derniers sont directement impliqués dans les accidents. « Quand on parle d’éducation routière ça peut paraitre abstrait mais c’est essentiel. Les enfants doivent, grandir dans le respect des règles », attestera notre interlocuteur. Revenant à la question de la formation, il a assuré que la « Sûreté nationale a toujours milité pour la révision du décret fixant les modalités d’accès à la conduite ». « Actuellement les candidats ne fournissent qu’un certificat de médecine générale avec l’acuité visuelle pour la constitution du dossier. Au regard des comportements qui relèvent de la psychiatrie. On a demandé à ce qu’il est des tests psychotechniques », a plaidé le commissaire divisionnaire. « On remarque que 50% des accidents sont causés par les titulaires d’un permis de moins de 5 ans », a-t-il soutenu, tout en déplorant qu’on « est le seul pays où on décroche notre permis de conduire puis on reprend l’auto-école faire des cours de perfectionnement ».
Absence d’une stratégie de lutte globale
Par conséquent, la DGSN a appelé à tracer une stratégie de lutte globale, afin de viser l’objectif «zéro accident ». « La vision zéro accident est adoptée par les pays développés. Pour qu’on puisse s’inscrire sur la même démarche, il faudrait tracer une politique de sécurité routière globale », a souligné le commissaire Naït El-Hocine qui ne manque pas de rappeler qu’ «en Algérie, la lutte ne se résume qu’à des actions sectorielles ».« Ces actions ne s’intègrent pas dans une politique, globale de prévention routière », a regretté notre interlocuteur. Selon lui, pour avoir cette politique il est impératif de mettre en place un organisme leader en matière de sécurité routière qui disposera de toutes les prérogatives. « On devrait s’inspirer de ce qui se passe à l’étranger. Pourquoi ne pas créer une structure de lutte contre le terrorisme routier comme c’est le cas de la Délégation interministérielle de la sécurité routière pour centraliser les missions de lutte? », a-t-il recommandé, tout en affirmant que ça « sera la référence de législation, surveillance et de contrôle». Revenant sur les campagnes de sensibilisation, il affirmera qu’en Algérie « chaque structure déploie ses moyens pour essayer de réduire le nombre d’accidents. Mais ça ne reste que des initiatives individuelles », a regretté le commissaire. Dans ce sillage, il a soutenu que « toutes les actions de communication ne s’intègrent pas dans un plan stratégique ». Ce point l’emmènera à plaider une énième fois à « tracer une stratégie globale de lutte pour mettre un terme à l’hécatombe ». Par ailleurs, le commissaire n’a pas manqué à rappeler les répercussions des accidents de la route sur l’’économie. Comme si que la chute des prix du pétrole ne suffisait pas, les accidents viennent compliquer la situation. La prise en charge des victimes pèse toujours lourd au dos du Trésor public.
A.N.C. et L.B.
5000 décès/an : le CNPSR lance le SOS
Du côté du Centre national de prévention et de sécurité routière, la sonnette d’alarme est tirée. Le nombre de décès est, selon Khellaf Fatma, responsable du service de l’éducation et de la formation routière au CNPSR, est inquiétant. Faisant état de près de 5000 morts annuellement; elle qualifie la situation d’inacceptable. Elle remarque toutefois que ces chiffres restent stables malgré le développement du réseau routier, l’augmentation du nombre de détenteur du permis de conduire et notamment l’évolution du parc auto. Selon une étude réalisée par le centre au cours de l’année 2015, le facteur humain serait à l’origine de 94,47% des accidents de la route, alors que l’état du véhicule est à l’origine de 3,19 de ces accidents suivi au troisième plan par le facteur environnemental de 2,34%. Mme Khellaf relève que selon la même étude la wilaya de M’sila aurait compté au cours de l’année précédente le taux le plus élevé de nombre de décès, avec 176 cas, suivie par la wilaya d’Aïn-Defla avec 151 personnes décédés. En troisième position vient la wilaya de Djelfa avec 148 personnes, et Biskra de 146 cas. Alger est classée en sixième position comptant 139 morts sur les routes. Toujours dans le cadre de cette étude, les accidents de la circulation se produisent beaucoup plus le dimanche avec 2 486 accidents soit 15,3 du taux d’accidents durant la semaine. S’agissant des horaires, l’enquête révèle que les accidents de la circulation surviennent lors des heures de pointe, soit de 15h à 18h, avec pas moins de 5000 accidents. En ce qui concerne, la catégorie d’âge de personnes qui provoquent le plus d’accidents, elle est estimé entre 30 et 39 ans.
Un système de formation défaillant
Mme Khellaf signale, d’autre part, que le système de formation des conducteurs a également sa grosse part dans l’hécatombe des routes. Selon une étude réalisée en 2009, indique-t-elle, il a été constaté que plusieurs lacunes existaient dans ce système. L’enquête a révélé, à titre d’exemple, que les heures de formation étaient très réduites, les pistes pédagogiques quasi inexistantes, alors que les méthodes d’examen laissaient à désirer. A travers cette étude le CNPSR, souligne la responsable, est sorti avec une série de recommandations ayant été soumises au ministère desTtransports. « Après enrichissement, le ministère a pris en considération certains points, alors que d’autres sont en cours de traitement », dira-t-elle. Le CNPSR a recommandé, à ce propos, l’introduction dans la formation de conducteurs d’un module spécialisé dans la prévention routière. Parlant, par ailleurs, de la mission du centre, la responsable du service de l’éducation et de la formation routière souligne que celle-ci consiste en la recherche et la sensibilisation. Ainsi, dans le domaine de la recherche et de la formation, le centre s’occupe à étudier le phénomène des accidents de la route de manière scientifique, pour tenter de les réduire de manière efficace et efficiente. Vient par la suite la mission de prévention et de sensibilisation de tous les usagers de la route à travers un travail de proximité en coordination avec plusieurs ministères. C’est le cas, évoque à titre d’exemple Fatma Khellaf, du ministère de l’Éducation nationale.
La sensibilisation concerne aussi bien les petits que les grands
Dans le cadre de cette coordination entre le centre et le ministère, un travail a été entamé le mois de novembre 2015 dans certaines écoles primaires de la capitale, où des équipes ont été chargées de donner des cours sur le code de la route. Les notions de base sur la prévention sont inculquées aux enfants. Le centre aurait, révèle encore Mme Khellaf, proposé l’introduction d’une matière sur le code de la route dans le programme scolaire, mais cette demande a été aussitôtrefusé par le ministère de l’Éducation compte tenu de la charge du programme. Le CNPSR a, à cet effet, pensé à intensifier les cours de prévention routière dans les programmes qui existent déjà, à l’exemple, de l’éducation civique, les textes de lecture, et ce dans les trois cycles éducatif (primaire, moyen et secondaire). En ce qui concerne les adultes notamment, concernés par les campagnes de sensibilisation, le travail se fait, explique la responsable, à travers les medias, la Télévision, et la Radio. Le centre organise aussi des expositions où des supports et des dépliants sont distribués aux usagers de la route. Le travail de sensibilisation est intensifié dans les wilayas qui enregistrent un taux élevé d’accidents.
Pour une politique de prévention à long terme
«Toutefois, malgré les efforts fournis sur le terrain, il reste tant de choses à faire». Ce qui manque aujourd’hui, observe Fatma Khellaf, est de réaliser un travail à long terme et non pas occasionnel. La coordination interministérielle doit être également renforcée pour avoir des résultats concrets et efficaces. Le centre a notamment adressé au ministère des Transports une série de propositions, pouvant être bénéfiques dans le system de sécurisation des routes. Il s’agira, dans ce volet, de la mise en place du chrono-tachygraphe qui est un appareil permettant le contrôle surtout des chauffeurs poids lourds et des transports en commun. Il est placé dans le véhicule et permet de calculer la vitesse et les horaires de conduite. Le permis à points, le brevet professionnel et le permis de catégories, représentent pour Mme Khellaf, également, des solutions pour freiner l’hécatombe des routes. Ayant programmé pour l’année 2016 la sensibilisation des transporteurs en communs, ce travail s’effectuera en coordination avec la société civile étant plus proches aux usagers de la route.
A.N.C. et L. B.