Le président de la République, Abdelmadjid Tebboune, s’est exprimé, dans un premier message adressé au peuple algérien vendredi dernier en conférence de presse, après a avoir été élu à la tête de l’État à une majorité écrasante, pour tendre la main au Hirak qu’il invite au dialogue. Un appel aussi laconique soit-il au demeurant, tant que le Président n’a pas encore pris ses fonctions officiellement, qui renseigne à première vue sur la volonté de Tebboune de dénouer la crise politique en cours depuis l’avènement du Mouvement populaire et citoyen du 22 février.
S’adressant au peuple algérien, le nouveau Président a invité solennellement au dialogue politique pour résoudre la crise à laquelle est confronté le pays, dont le poste de président est resté vacant pendant des mois après la destitution du président Bouteflika. Timides soient-elles à présent les réactions à cette offre de dialogue, le débat est amorcé sur la question et les langues parmi les plus sceptiques jusque-là commencent à se délier. Hier, plusieurs acteurs politiques et figures actives de la société civile et du Hirak ont réagi à l’appel au dialogue lancé par le président de la République.
Med Bekkat Berkani, président de l’Ordre des médecins :
Le président de l’Ordre des médecins et membre de l’Autorité nationale indépendante des élections (ANIE), Mohamed Bekkat Berkani, a salué l’appel au dialogue lancé par Abdelmadjid Tebboune aux représentants du Hirak, affirmant que «le dialogue c’est une vertu importante pour nous tous pour se parler entre Algériens, pour trouver des solutions consensuelles dans cette étape délicate que traverse le pays ».
Pour ce faire, Berkani rappelle les efforts qu’il a fournis pour le processus de dialogue à travers son implication dans l’ANIE et avant dans le Panel de médiation et de dialogue dirigé par Karim Younès. Le président de l’Ordre des médecins indique ainsi qu’il « ne peut pas être contre une telle initiative », en étant certain «que nous avons réussi le premier pari de la présidentielle dans des conditions normales et transparentes». Un défi qui a été relevé «sans qu’il y ait des troubles ou contestations y compris de la part des candidats», rappelle Berkani. Cependant, poursuit notre interlocuteur, « notre Président a fait une déclaration préliminaire juste après l’annonce des résultats des urnes, vendredi passé en invitant les Algériens au dialogue, afin d’essayer de trouver des solutions aux difficultés et aux problèmes de la société.»
Selon le président de l’Ordre des médecins, « ce dialogue servira à recenser l’ensemble des problèmes de la société », ajoutant que « c’est la première fois qu’un président élu s’engage à parler à son peuple car, avant, c’était des promesses dans l’air.»
Smaïl Lalmas, économiste :
Pour l’économiste Smaïl Lalmas, plus sceptique à présent à l’appel au dialogue, le pouvoir «s’est retrouvé à dialoguer avec lui-même pour chercher, en vain, une solution qui le conforterait dans sa position, oubliant qu’il est à l’origine de la crise que vit le pays», explique-t-il, sans toutefois citer le président élu. Dans une contribution rendue publique hier, il donne son point de vue à propos du dialogue: « Actuellement et au point où en sont les choses, à mon avis la phase de dialogue est par conséquent dépassée, on doit plutôt parler de négociations », suggère Lalmas. Le même économiste estime que «le temps du changement est arrivé », et « le peuple exige de ce même pouvoir de partir sans condition ni préalable ». « Mais avant de parler de négociations, si le peuple accepte de négocier bien sûr, il faut mettre en place des mesures d’apaisement en commençant par libérer les détenus d’opinion, ouvrir le champ médiatique à la parole libre, arrêter de matraquer et d’insulter les manifestants, élaborer une feuille de route pour des négociations afin d’aboutir à l’ultime revendication de notre peuple qui est le changement de ce système », dit-il. D’autre part, s’adressant au Hirak, Lalmas appelle à maintenir la pression sur le pouvoir. «En attendant, la pression doit continuer afin de contraindre le pouvoir à renoncer définitivement aux pratiques d’un autre âge et le faire céder », ajoutant également qu’«il faut avouer que négocier avec le pouvoir algérien n’est pas chose facile, surtout qu’il est question d’une rupture radicale avec lui. Donc à mon avis, avant de choisir d’aller ou de ne pas aller aux négociations, il faut tout simplement trouver une réponse à cette question : le pouvoir algérien est-il prêt à négocier sa propre mort ? », conclut-il avec une interrogation.
Boualem Amoura, SG du SATEF :
Le SG du Syndicat autonome des travailleurs de l’éducation et de la formation (SATEF), Boualem Amoura, nous a confié, hier, sa position de boycott de toute initiative de dialogue de la part du pouvoir, indiquant que l’offre de Tebboune n’est «qu’un piège pour disloquer le Hirak ». «Le dialogue proposé par Tebboune c’est un piège pour disloquer et diviser le Hirak » nous dit-il, avant de s’interroger : « pourquoi parler de ça alors qu’il (le Président, ndlr) n’est même pas encore installé ? » Amoura est revenu ensuite pour rejeter les résultats des élections en renvoyant de ses propos au rejet signifié par le Mouvement au scrutin, sans toutefois évoquer une quelconque autre alternative.
Lyès Merabet, président du SNPSP :
Acteur aussi bien du mouvement syndical que du Hirak notamment, ce syndicaliste de longue date estime que le Mouvement du 22 février doit dégager ses représentants pour aller vers le dialogue politique de sortie de crise.
« Aujourd’hui, ils nous ont présenté la personnalité qui va négocier et dialoguer à leur place. Le Hirak doit agir et prendre l’initiative en présentant des noms et une plateforme de revendications qui soit l’émanation de l’unanimité et de la priorité», a écrit Lyès Merabet, Président du Syndicat national des praticiens de la santé publique (SNPSP) sur sa page Facebook concernant l’appel au dialogue lancé par le président Tebboune.
Sarah Oubraham
Sofiane Djilali (Jil Jadid) :
Animant une conférence de presse, hier à Alger, le président de Jil Jadid, Sofiane Djilali, donne son point de vue sur l’offre de dialogue faite par le président Tebboune à l’adresse du Hirak. Pour l’ex-membre du mouvement «Mouwatana» (Citoyenneté) le jeune parti qu’il dirige «a toujours défendu le principe du dialogue», mais contre «les fausses solutions» émanant du pouvoir. Toutefois, le président de Jil Jadid dit s’attendre à des «gestes forts» de la part du Président, comme pour montrer sa «bonne foi» pour le dialogue. Revenant à l’élection présidentielle du 12 décembre, l’homme politique dit que son parti « n’a soutenu aucun candidat durant la présidentielle du 12 décembre. Cependant, conscients de la complexité de la situation que traverse le pays, nous interagirons avec responsabilité avec le nouveau président de la République», fait-il remarquer dans des propos rapportés par l’APS. «Nous aurons à prendre position, en toute indépendance, sur les différents sujets », a-t-il relevé, soulignant que sa formation politique «jugera, au fur et à mesure, des actes concrets que décideront les autorités, notamment en ce qui concerne la construction d’un État de droit et de la démocratie», a-t-il répondu à propos du dialogue auquel a appelé le Président.
R. N.