Ce 2 novembre marque un anniversaire que le peuple palestinien n’oubliera jamais : celui du crime originel commis par la Grande-Bretagne contre la Palestine.
Il y a cent huit ans jour pour jour, le 2 novembre 1917, Londres publiait la Déclaration Balfour — une lettre de 67 mots qui a bouleversé le destin d’un peuple tout entier, en offrant la Palestine à ceux qui n’y vivaient pas, et en niant le droit à l’existence de ceux qui y vivaient depuis des millénaires.
Arthur James Balfour, ministre britannique des Affaires étrangères, écrivait alors au baron Rothschild, l’un des chefs du mouvement sioniste mondial : « Le gouvernement de Sa Majesté envisage avec faveur l’établissement en Palestine d’un foyer national pour le peuple juif ». Derrière la froideur diplomatique de la phrase se cachait la promesse d’une dépossession : un empire européen accordant, sans droit ni mandat, la terre d’autrui à un mouvement politique étranger. Loin d’être une simple « déclaration », le texte de Balfour fut le premier maillon d’un projet colonial mondialement concerté. Londres avait obtenu l’aval du président américain Woodrow Wilson, de la France et de l’Italie, puis du Conseil suprême des Alliés à San Remo en 1920, avant que la Société des nations ne transforme cette promesse en un mandat officiel. La colonisation de la Palestine fut donc une entreprise partagée, pensée dans les chancelleries occidentales et légitimée par le droit colonial de l’époque. À travers ce document, la Grande-Bretagne ne se contentait pas d’ouvrir les portes de la Palestine aux colons juifs européens. Elle offrait au mouvement sioniste une base légale, un passeport diplomatique pour transformer une utopie politique en réalité territoriale. En 1917, les Juifs n’étaient que 50 000 en Palestine sur 1,65 million d’habitants. Pourtant, le texte ne reconnaissait aux Palestiniens que « des droits civils et religieux », les réduisant au silence politique, comme s’ils n’étaient qu’un détail d’un décor promis à d’autres.
Une trahison suivie d’une résistance
Devant le choc suscité dans le monde arabe, Londres tenta de masquer son double jeu. À travers une lettre adressée au chérif Hussein, elle promit de limiter l’immigration juive « dans la mesure des intérêts arabes ». En réalité, elle ordonna à son administration militaire en Palestine d’obéir aux directives de la commission sioniste dirigée par Chaim Weizmann, futur président d’Israël. Les convois de migrants juifs furent protégés, les terres rachetées ou confisquées, et la colonisation s’installa au cœur même de la vie palestinienne. Mais le peuple palestinien, profondément enraciné dans sa terre, refusa la dépossession. Il opposa au mensonge britannique la force d’une résistance populaire. Des révoltes éclatèrent dès les années 1920, notamment celle du Mur des Lamentations en 1929, puis la grande insurrection de 1936. C’est dans ces luttes que naquit l’idée d’une nation palestinienne debout face à l’injustice et au mépris colonial.
Balfour, père d’un État né sur les ruines d’un autre
Pour le mouvement sioniste, le texte de Balfour fut bien plus qu’un soutien : ce fut une charte de légitimité. Lors de la proclamation de l’État d’Israël en 1948, la Déclaration Balfour fut explicitement citée dans le texte fondateur de ce nouvel État. Moins de trois décennies avaient suffi pour transformer une lettre britannique en catastrophe humaine : la Nakba, l’exil forcé de plus de 800 000 Palestiniens et la destruction de plus de 500 villages. Israël devint ainsi la première entité politique moderne née non pas d’un peuple sur sa terre, mais d’un empire étranger sur la terre d’un autre. Un État créé par la plume d’un ministre et imposé par les baïonnettes coloniales.
Une promesse de fer, un siècle d’impunité
Cent huit ans plus tard, les traces de la Déclaration Balfour sont visibles dans chaque ruine de Ghaza, dans chaque olive déracinée de Cisjordanie, dans chaque maison confisquée à El-Qods. Car ce texte n’a pas seulement donné naissance à l’occupant sioniste; il a inauguré un siècle de silence complice et de déni des droits palestiniens. Les mêmes puissances qui, en 1917, ont validé la dépossession d’un peuple, continuent aujourd’hui à couvrir les crimes commis contre lui. Ce que Balfour a promis par écrit, d’autres le garantissent par des armes, des vetos et des accords militaires.
L’esprit colonial du XXè siècle s’est recyclé dans le langage diplomatique du XXIè : on ne parle plus de «mandat », mais de « sécurité d’Israël » — comme si la sécurité d’un occupant pouvait justifier la souffrance sans fin de l’occupé. Pour les Palestiniens, la Déclaration Balfour n’appartient pas au passé : elle continue de structurer le présent. Chaque année, le 2 novembre, ils rappellent au monde que ce texte n’a jamais été révoqué, jamais reconnu comme une faute historique. C’est une blessure toujours ouverte, mais aussi un rappel de la résilience d’un peuple qui refuse de disparaître. Balfour croyait offrir un « foyer national » aux Juifs. Il a, sans le savoir, donné au monde une leçon : qu’aucune puissance ne peut effacer l’identité d’un peuple, même sous le poids des promesses impériales et des bombes modernes. Cent huit ans plus tard, la Palestine vit, parle, résiste. Et tant que ce peuple existera, la Déclaration Balfour ne sera pas un acte d’histoire révolue, mais une dette que le monde n’a pas encore payée.
M. Seghilani














































