Quatre très grands noms du cinéma – Pedro Almodovar, Spike Lee, Jodie Foster et Bong Joon-ho – ont uni leurs voix pour donner le coup d’envoi officiel du Festival de Cannes et faire redémarrer l’usine à rêves, après de longs mois marqués par la pandémie.
«Dans cette année de transition, le cinéma a été ma bouée de sauvetage», a déclaré dans son français parfait l’actrice et réalisatrice américaine Jodie Foster, qui s’est vu remettre une Palme d’Or d’honneur par l’Espagnol Pedro Almodovar. Ce fidèle de Cannes, qui lui-même n’a jamais été couronné, souhaitait «être présent pour le retour du cinéma, du festival, et pour pouvoir célébrer le film d’auteur sur un grand écran». S’étaient joints à eux le président du jury, le new-yorkais Spike Lee, dans un costume rose fuschia assorti à ses lunettes, et le réalisateur Bong Joon-ho, lauréat de la Palme d’Or pour «Parasite» en 2019, la dernière année où elle a pu être décernée avant la pandémie. «Beaucoup d’entre nous ont passé une année enfermés dans nos petites bulles, beaucoup l’ont passée isolés et d’autres confrontés à la souffrance et à l’angoisse, à la douleur, à la peur mortelle, et nous voila enfin, après un an sans pareil, réunis dans nos jolis fringues. Ça vous a manqué le glamour? Un petit peu? Moi aussi…», a plaisanté Jodie Foster. Dans l’après-midi, Cannes avait connu sa première montée des marches sous Covid, avec l’autorisation d’ôter les masques pour les célébrités, de Jessica Chastain à Adam Driver, en passant par la chanteuse Angèle ou Mylène Farmer, membre du jury. Dans l’euphorie, pas mal de libertés ont été prises avec les gestes barrière, le temps d’une bise ou d’un baisemain. Après la cérémonie, la compétition a officiellement commencé avec la projection d’un film d’ouverture en forme de feu d’artifice, «Annette», opéra-rock signé d’un réalisateur aussi culte que rare, Leos Carax, qui sort simultanément dans les salles françaises.
«Vibrer»
Après des mois de confinement et de vie sociale entravée, cette belle histoire d’amour tragique, œuvre entièrement chantée, à la beauté plastique et au souffle puissant, permet à la Croisette, pour ses grandes retrouvailles, de «vibrer» et d’assister «à un grand spectacle», a déclaré à l’AFP Marion Cotillard. Le temps de la projection, son complice à l’écran Adam Driver, qui n’aime pas voir ses films, avait prévu… de quitter la salle pour se réfugier dans un bureau quand «Annette» commencerait: «Là, je joue avec l’agrafeuse ou le scotch et je reviens quand les lumières se rallument», a-t-il confié à l’AFP, «et je fais comme si j’étais resté là!». La compétition se poursuit mercredi avec les projections officielles de «Tout s’est bien passé», de François Ozon avec André Dussolier et Sophie Marceau, sur le suicide assisté, et du nouveau film de l’Israélien Nadav Lapid, «Le genou d’Ahed». Le jury, qui verra au total 24 films en lice pour la Palme d’Or, et devra les départager d’ici au 17 juillet, a aussi profité de cette journée d’ouverture pour donner un ton politique à cette édition. «Ce monde est dirigé par des gangsters», a déclaré Spike Lee, premier cinéaste noir à le présider, s’en prenant notamment aux dirigeants russe Vladimir Poutine et brésilien Jair Bolsonaro, en conférence de presse, casquette noire siglée «1619» sur la tête, en référence à l’année d’arrivée des premiers esclaves aux Etats-Unis. Il avait d’abord évoqué le sort des Noirs aux Etats-Unis, coeur de son engagement politique et artistique, qu’il n’a cessé d’explorer dans ses films, notamment «Do The Right Thing». Plus de «30 putains d’années après» ce film, «on aurait pu croire que les personnes noires auraient arrêté d’être traquées comme des animaux», a-t-il déclaré. Plusieurs membres de son jury ont embrayé, du réalisateur brésilien Kleber Mendonça Filho sur la situation politique dans son pays, à l’actrice Maggie Gyllenhaal, sur la place des femmes dans le cinéma, en passant par la Française Mélanie Laurent qui a fait le lien avec l’écologie.