Avec son milliard de dollars de recettes, le film « Oppenheimer » n’a pas seulement rempli les poches des studios hollywoodiens: il a également provoqué un petit boom touristique dans la ville mystérieuse de Los Alamos.
Réalisé par Christopher Nolan et ultra-favori pour l’Oscar du meilleur film, le long-métrage retrace la vie du père de la bombe atomique. Une grande partie de l’action se déroule à Los Alamos, une ville construite à la hâte au Nouveau-Mexique pour abriter un laboratoire top secret, sur l’idée de Robert Oppenheimer. Le physicien était un amoureux des grands espaces de cette région du sud-ouest des Etats-Unis. Depuis la sortie du film en juillet dernier, les touristes se piquent d’intérêt pour des sites tels que la maison d’Oppenheimer et le Fuller Lodge, où les scientifiques nucléaires organisaient des fêtes pour célébrer leur succès dans la fabrication de la bombe. Le nombre de visiteurs a bondi de 68% l’année dernière, selon les responsables de la ville. « Nous avons commencé à observer un afflux considérable au printemps dernier, avant même que le film ne sorte en salles », explique Kathy Anderson, guide de la société historique locale, qui a dû tripler son nombre de tours quotidiens. « Si le film remporte les Oscars, je pense que l’intérêt sera encore plus grand. »
Mais ce succès masque le rapport compliqué de Los Alamos à son passé et au scientifique, encore affectueusement surnommé « Oppie » par certains.
Héritage complexe
L’essor du tourisme pourrait permettre de réunir les 2 millions de dollars nécessaires à la restauration de la maison centenaire où vécurent les Oppenheimer. Une bâtisse fatiguée qui a grand besoin de réparations. « Oppenheimer était réputé pour ses martinis et pour être un hôte très accueillant. Beaucoup d’événements historiques se sont déroulés dans ces pièces », raconte Nic Lewis, historien du laboratoire national de Los Alamos. Mais l’héritage destructeur des bombes atomiques fabriquées dans cette ville, où 15.000 scientifiques travaillent toujours dans le même laboratoire nucléaire, reste difficile à assumer. Comme le montre le film, Oppenheimer lui-même est devenu un critique virulent de la prolifération nucléaire pendant la guerre froide. Après l’anéantissement d’Hiroshima et Nagasaki, le scientifique a reconnu être « responsable de la destruction d’un endroit magnifique », selon « American Prometheus », le livre sur lequel Nolan a basé son film. « Nous avons conscience qu’il s’agissait d’une personne, qui avait des défauts, qui avait commis des erreurs », poursuit M. Lewis. « Il était très compliqué. Il était très réfléchi. Je pense que Nolan a dépeint avec beaucoup de précision cette partie d’Oppenheimer. » Malgré tout, la décision du réalisateur de tourner de nombreuses scènes dans les bâtiments mêmes de Los Alamos où elles se sont déroulées a provoqué un véritable engouement dans la ville. Les scientifiques du laboratoire ont été sollicités pour faire de la figuration, via une annonce dans le journal local. Fan de Nolan, l’astrophysicien Shane Fogerty a ainsi eu l’occasion de disserter sur la fusion nucléaire et la genèse de la Lune avec les stars Cillian Murphy et Robert Downey Jr, entre deux prises. « Chris (Nolan) devait rappeler à tout le monde : +Nous sommes au travail, calmez-vous, s’il vous plaît. Passons à la prise suivante+ », raconte M. Fogerty. Une anecdote qu’il ressort régulièrement avec les touristes de plus en plus nombreux qu’il rencontre ces derniers temps.
Avec seulement 13.000 habitants, Los Alamos cultivait son caractère plutôt discret. Mais désormais, « Il est plus difficile d’obtenir une réservation dans les quelques restaurants de la ville. »