Public et critiques sont rarement d’accord, mais le biopic « Reagan » les divise particulièrement aux Etats-Unis, en pleine campagne présidentielle et 20 ans après la mort du président adulé par la droite conservatrice américaine.
Le film, qui retrace la vie du président républicain des Etats-Unis entre 1981 et 1989, affiche sur le site « Rotten Tomatoes » une semaine après sa sortie une note de 98% d’avis favorables de la part des spectateurs, mais de seulement 21% chez les critiques professionnels. Car pour beaucoup de ces derniers, « Reagan » est avant tout une hagiographie bancale qui passe à côté des défauts d’un dirigeant controversé. Des milliers de fans accusent eux les critiques de faire preuve d’élitisme en dénigrant un film « inspirant » et « patriotique » en raison de leur penchant supposé à gauche. « On y met de la politique, et tout d’un coup le film devient extrêmement biaisé », fait lui aussi valoir le réalisateur Sean McNamara. En lisant de nombreuses critiques, il a déclaré s’être « rendu compte » que c’était davantage la figure de Ronald Reagan qui était attaquée que la réalisation du film. Cette discorde entre public et critiques est même devenue un argument vendeur. Dans un communiqué, le film se targue d’être « le plus grand fossé entre les critiques et les fans dans l’histoire du cinéma hollywoodien ».
Pure coïncidence
La sortie, à l’approche d’une présidentielle qui s’annonce très serrée en novembre, contribue aussi à ce décalage et à l’intérêt même qui lui est porté. Les 10 millions de dollars de recettes du film lors du premier week-end d’exploitation sont « supérieurs à la moyenne » pour un biopic politique, observe David A. Gross, analyste du box-office. Dans le film, Dennis Quaid (« L’Enfer du dimanche », « Wyatt Earp », « Le Jour d’après »…) incarne un Ronald Reagan dont la vie est retracée de son enfance à son double mandat à la Maison Blanche, en passant par sa carrière d’acteur hollywoodien. Pour les réalisateurs, la sortie du film — au moment de l’une des campagnes présidentielles les plus crispées de l’histoire américaine — est une pure coïncidence. Le film a été annoncé pour la première fois en 2010, puis tourné en 2020, avant d’être encore retardé par la pandémie de Covid-19 et les grèves à Hollywood. « Si vous regardez ce film à travers le prisme d’une année sans élection… vous le regarderiez, je pense, juste comme un film », a encore affirmé le réalisateur Sean McNamara. « Aujourd’hui, quand les gens le regardent, ils ne peuvent s’empêcher de voir les similitudes » avec le contexte actuel.
« Choqué par les ressemblances »
Et il y en a: le film commence par la tentative d’assassinat sur Ronald Reagan en 1981, souvenir ravivé récemment par les tirs qui ont visé cet été Donald Trump. Il montre également un Ronald Reagan confronté à des manifestations sur des campus et à des questions lors de sa campagne de réélection sur son âge avancé. Autant de sujets auxquels Joe Biden a également été confronté cette année. « Ces choses se sont produites soudainement au cours des derniers mois », fait remarquer Sean McNamara. « Alors même moi, quand je regarde le film aujourd’hui, je me dis +wahou, c’est un peu ce qui se passe aujourd’hui+. J’ai été choqué par les ressemblances ».
Réalisateur de plusieurs films, Sean McNamara a l’habitude de faire des films « pour le public » qui ne plairont pas nécessairement aux critiques. Mais selon le réalisateur, le fossé qui sépare les réactions à « Reagan » est encore plus grand et témoigne des divisions profondes qui déchirent le pays. Si l’apogée de Ronald Reagan dans les années 1980 ne s’est pas faite sans tension, la nation était « plus généreuse, plus calme » avec des gens dont les désaccords politiques ne les empêchaient pas de se retrouver autour d’un barbecue, affirme-t-il. Les spectateurs plus âgés se sentent particulièrement concernés par « Reagan » aujourd’hui parce qu’ils se souviennent de cette époque et qu’ils voient quelque chose qui « n’existe plus aujourd’hui » aux Etats-Unis, ajoute Sean McNamara. Que penserait Reagan lui-même du climat actuel? « Reagan était un grand communicant et je pense qu’il aurait essayé de combler ce fossé », estime le réalisateur.