Voilà huit mois que Christian Gourcuff a relevé le pari osé et ambitieux de prendre les rênes de l’Algérie avec pour cap la Coupe d’Afrique des Nations de la CAF 2017 et la Coupe du Monde de la FIFA, Russie-2018, le tout avec la performance héroïque des troupes de Vahid Halilhodzic du Brésil-2014 en guise de lourd héritage.
Pas simple pour cet entraîneur exclusivement habitué au travail quotidien en club, qui a consacré sa vie professionnelle à faire de Lorient un habitué de l’élite française et qui vit avec les Fennecs sa première experience en tant que sélectionneur. Le technicien breton a accordé un entretien exclusif à FIFA.com pour évoquer les premiers mois de sa nouvelle vie.
Christian Gourcuff, est-ce qu’une expérience internationale était quelque chose dont vous rêviez depuis longtemps ?
Je ne rêvais pas dans le sens où ça n’était pas prémédité. C’est quelque chose qui s’est construit dans le temps mais qui n’était pas programmé. Dans l’évolution d’une carrière, il faut entraîner en club pour emmagasiner de l’expérience, pour en tirer ensuite les bénéfices en sélection et être performant. Les choses doivent se faire dans cet ordre là. Je ne me voyais pas sélectionneur, il y a encore quelques mois, quand j’étais dans le travail quotidien en club.
Pour vous qui avez justement été entraîneur de club pendant plus de 30 ans, qu’est-ce qui a le plus changé dans votre façon de travailler ?
Aujourd’hui, je travaille plus dans la qualité, ce qui me va bien. J’ai plus de temps pour préparer les séances. Je voyage, je me déplace un peu partout pour superviser les joueurs. Il y a tout de même une certaine frustration dans le fait de ne pas avoir l’équipe aussi souvent qu’on le voudrait, pour travailler les automatismes mais aussi parce qu’il y a des aspects qui nous échappent dans la préparation athlétique. Lors d’un rassemblement, on peut faire un bilan mais on n’a pas d’impact direct.
Est-ce que le style de jeu que vous avez façonné à Lorient, fait de possession et de construction, est facile à mettre en place en sélection ?
C’est évidemment plus difficile parce qu’on a moins de temps pour fixer les automatismes. Mais c’est quelque chose que j’avais bien perçu avant ma prise de fonction. C’est aussi une des raisons majeures pour lesquelles je ne me sentais pas prêt pour une sélection il y a quelques années. Aujourd’hui, c’est une forme de challenge pour moi d’avoir une influence sur l’équipe en très peu de temps. Je suis à la recherche de la qualité et d’une exploitation optimale du temps. C’est ça qui est excitant dans la fonction.
Comment définiriez-vous les caractéristiques des joueurs dont vous disposez en sélection algérienne ?
Sur le plan technique, le ballon est au centre de leur plaisir de jouer. Des garçons comme Yacine Brahimi ou Sofiane Feghouli respirent le foot et la joie de jouer. Sur le plan humain, j’ai découvert une sélection avec beaucoup de fraîcheur. Je ne veux pas idéaliser non plus, mais cette fraîcheur émotionnelle m’a beaucoup surpris au départ. J’ai trouvé une richesse dans les échanges qu’on ne trouve plus dans les clubs de L1, par exemple. Ça me fait beaucoup bien. Il y a beaucoup d’ambiance, de joie de vivre et de vie dans ce groupe. Après, il y a évidemment d’autres problèmes qui se posent en compétition, comme la frustration chez ceux qui ne jouent pas, mais ça c’est dans toutes les sélections.
Sur quoi insistez-vous le plus auprès de vos joueurs ?
D’une façon générale, j’insiste sur l’esprit collectif, sur le fait d’avoir du plaisir à jouer l’un avec l’autre, de jouer l’un pour l’autre. Le plaisir de jouer ensemble passe par des devoirs envers son partenaire. A partir du moment où c’est accepté, on peut avancer. S’il n’y a pas de sensibilité par rapport à ça, tout ce qu’on peut mettre en place sur le plan tactique sera toujours un peu bancal.
Comment avez-vous vécu la Coupe du Monde de l’Algérie, sachant que vous seriez peut-être le nouveau sélectionneur ?
Le plus difficile, c’était d’être dans l’attente dans une position un peu ambigüe. Les compétitions internationales avec les sélections ne correspondent pas avec les intersaisons des clubs. C’était donc prendre un risque que d’attendre. On supervise, on imagine le futur tout en voyant l’équipe évoluer sur le terrain. C’est pas une situation évidente à vivre. J’ai trouvé en tous cas que l’équipe a fait preuve de beaucoup de solidarité et de générosité…
Parlons de ce huitième de finale légendaire contre l’Allemagne future championne du monde. Est-ce qu’il a facilité votre travail comme capital confiance, où est-ce qu’il l’a rendu plus compliqué par rapport aux attentes et aux exigences qu’il a suscité ?
Evidemment, plus compliqué ! Mes choix techniques étaient à l’opposés de ceux de mon prédécesseur, et l’équipe surfait médiatiquement sur ce succès. Ma prise de fonction a commencé directement sur des éliminatoires, donc il ne fallait pas se louper. Les deux matches contre l’Ethiopie et le Mali ont été excessivement importants. C’était un nouveau départ, donc il fallait afficher les choix tactiques sur lesquels j’entendais travailler, et le faire avec suffisamment de tact pour qu’il y ait une continuité. J’estime que ça a été bien fait, étant donné que les qualifications se sont bien passées. J’avais aussi un avantage, et c’était aussi une des conditions de mon engagement avec l’Algérie, c’était que je percevais la sensibilité des joueurs assez proche de la mienne. Ça n’était pas une garantie, mais ça a été un élément supplémentaire qui m’a poussé à m’engager.
Quel bilan avez-vous tiré de la CAN-2015, votre première expérience dans une grande compétition internationale qui s’est soldée par une élimination en quart de finale contre la Côte d’Ivoire ?
C’était enrichissant à beaucoup d’égards. Sur le plan de la compétition elle même, on sait bien que les conditions étaient difficiles, avec des terrains plus favorables aux équipes qui avaient des arguments athlétiques. Même si on s’y attend, on est toujours un peu surpris du changement par rapport aux conditions que l’on peut connaître en Europe. La CAN a été une déception parce que je pense qu’on avait les moyens de l’emporter. Ça s’est joué en quart contre le futur champion, mais c’est un match où on a fait trop d’erreurs sur le plan défensif pour passer, même si, à mon avis, on s’est montrés supérieurs à notre adversaire. J’ai des regrets, parce que je sais qu’en avançant, on allait forcément évoluer sur des terrains plus adaptés à notre football.
Qu’est-ce qui a changé depuis dans votre approche ? Pensez-vous pouvoir construire sur le long terme avec les Fennecs comme vous l’avez fait en club avec Lorient ?
Je pense que le résultat est la conséquence de l’épanouissement d’une équipe. Mon approche ne change pas dans l’ambition, même si c’est vrai qu’une sélection nationale a une durée de vie très courte et que c’est moins le cas en club. Il y a quand même des exemples. Je prends en référence l’Allemagne qui a fait des choix très clairs dans les années 2000, et qui, sur le plan collectif, a bénéficié de tout l’investissement des années précédentes. Après, en tant qu’entraîneur, on n’est pas toujours là pour en récolter les fruits… Mais en sélection nationale, même si c’est moins net qu’en club, le résultat est à ce prix là.
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