L’ancien ministre de l’Énergie est rentré avant-hier au pays. Un retour d’autant plus inattendu que rien ne l’annonçait. À moins de considérer les dernières déclarations du secrétaire général du FLN sur «la nécessaire réhabilitation des 4 500 cadres de l’État injustement sanctionnés», parmi lesquels il a nommément cité Chakib Khelil, comme des annonces déguisées, dont l’objectif était de préparer l’opinion publique nationale à ce qui vient de se produire. Si nombre de personnalités politiques nationales, de l’opposition, surtout, en sont, à voir leurs premières réactions, pleinement convaincues, d’autres, en revanche, préfèrent prendre le temps de voir pour se prononcer. Une attitude qui se justifie par le fait, indéniable, que ce retour soulève plus d’interrogations qu’il n’apporte de réponses aux véritables raisons du départ précipité, il y a trois années de cela, de l’ancien ministre de l’énergie; en mars 2013, pour être plus précis. Surtout que ce départ avait coïncidé avec le déballage au grand jour de deux grandes affaires qui touchaient, à travers la SONATRACH, au secteur dont il avait la charge : SONATRACH 1 où, pour rappel, étaient impliqués nombre de ses hauts-cadres, dont Mohamed Meziane, son P-DG d’alors,pour des chefs d’accusation liés, surtout, à des passations douteuses de marchés ; et SONATRACH 2, où il est question d’attribution d’un marché à l’entreprise italienne SAIPEM, une filiale de l’ENI, contre perception de pots-de-vin consistants. Des affaires dans lesquelles, il faut le rappeler, le nom de l’ancien ministre de l’énergie n’a pas été cité, par certains des inculpés et par une bonne partie de la presse nationale,uniquement pour sa responsabilité en tant que premier responsable du secteur mais pour son implication supposée dans les faits qui en font la trame. Une implication qui aurait été, selon différentes parties, plus nette dans la deuxième affaire : celles-ci ayant clairement accusé Chakib Khelil d’avoir perçu, par l’entremise de Farid Bedjaoui, un intermédiaire algérien établi à l’étranger et bien introduit dans les milieux des affaires, une part, non négligeable, dit-on, des pots-de-vin qu’aurait versés SAIPEM. Faut-il dire que le départ précipité de l’ancien ministre a apporté de l’eau au moulin accusateur de ces parties et, par la même occasion, jeté dans le trouble le plus profond la partie de l’opinion publique nationale qui ne voyait dans ces accusations que des manœuvres visant à discréditer, en dernier ressort, le président de la République dont les relations, anciennes et particulières, qu’il entretenait avec Chakib Khelil n’étaient un secret pour personne. Et surtout pas pour ses adversaires politiques ; ceux du Président, s’entend. Une lecture des faits qui se tient quand on sait que les « attaques » contre l’ancien ministre de l’énergie sont montées en puissance dans les mois qui ont précédé l’élection présidentielle d’avril 2014 à laquelle il était patent, alors, que le président Bouteflika allait se présenter. Comme pour aggraver ce trouble manifeste d’une partie de l’opinion publique, un mandat d’arrêt international a été lancé contre lui et les membres de sa famille, en août 2013, par le procureur de la République près la Cour d’Alger. Et que la justice italienne, à travers le parquet de Milan, s’est immiscée dans l’affaire. Et ce, en ordonnant l’ouverture d’une instruction judiciaire sur « les pots-de-vin de SAIPEM ». Une « immixtion » qui a été positivement saluée par toutes les parties accusatrices de l’ancien ministre de l’énergie. Surtout que la presse italienne qui avait rapporté l’affaire, n’avait pas écarté la possibilité que ce dernier y soit impliqué et, par conséquent, qu’il risquait d’être condamné par la justice italienne. Sauf que, dans les deux cas, ces parties allaient finir par déchanter. Une première fois, assez rapidement, quand, selon de nombreuses sources, politiques et médiatiques, la procédure engagée à l’encontre de Chakib Khelil par le procureur de la République près la Cour d’Alger a été interrompue ; après intervention expresse du président de la République en personne, a-t-on dit. à l’appui de leurs supputations, les partisans de cette « thèse » avancent le limogeage du magistrat en question. Une thèse qui est, toutefois, rejetée par d’autres parties. Se voulant plus objectives dans l’appréciation des faits, celles-ci considèrent, en effet, que son limogeage est motivé par son non-respect de la procédure en vigueur, en pareilles circonstances. Et ce, telle que précisée dans les articles 573 et 574 du Code de procédure pénale. Lesquels imposent, soutiennent-elles, à tout magistrat, dans le cas où le mis en cause est un commis de l’état – en clair, « un membre du gouvernement, un magistrat de la Cour suprême, un wali, un président de cour ou un procureur général près une cour » – de transmettre « le dossier, par voie hiérarchique, au procureur général près la Cour suprême». Et une seconde fois, en novembre 2015, quand le parquet de Milan qui, pour rappel n’avait même pas cité Chakib Khelil parmi les témoins dans cette affaire, avait disculpé les responsables de SAIPEM des accusations dont ils faisaient l’objet. Est-ce à dire que l’affaire Chakib Khelil est terminée avec son retour au pays? Rien n’est moins sûr. Et ce, même si tout indique qu’elle n’aura pas de suites judiciaires. Du moins, dans l’immédiat. Ce qui est sûr, en revanche, c’est qu’elle aura des prolongements politiques certains ; des prolongements qu’annoncent, on ne peut plus clairement, les réactions de nombre de responsables de partis de l’opposition et de certains ténors du barreau. Aussi bien les présidents du RCD et du HMS, pour les premiers, que Maîtres Khaled Bourayou et Ali Yahia Abdenour, pour les seconds, ont, en effet, choisi, et résolument, de s’inscrire sur ce terrain. Tous, ont déclaré que le retour de l’ancien ministre de l’énergie est la preuve patente de l’inféodation, qui continue, de l’appareil judiciaire au pouvoir politique. Une affaire vraiment à suivre…
Mourad Bendris