Benyoucef Hattab est né en 1930 à Alger. Il débute sa carrière au théâtre à la fin des années 1940 et sur les ondes de la radio où il interprète des pièces pour enfants, avant de rejoindre la troupe de Mahieddine Bachtarzi, un des fondateurs du 4ème art en Algérie.
Arrêté en 1960 par les autorités françaises pour ses activités militantes, il reprendra sa carrière à l’Indépendance de l’Algérie en intégrant la troupe artistique de la Sûreté nationale, puis la troupe de théâtre de la Radio algérienne aux côtés d’Abdelhalim Raïs, des frères Hilmi et de Farida Saboundji, entre autres. Il s’illustre également dans plusieurs rôles au cinéma et à la télévision notamment dans « L’épopée de Cheikh Bouamama » réalisé en 1984 par feu Benamar Bakhti et dans le téléfilm « Samia et son père » de Mustapha Badie. Depuis plus d’une dizaine d’années, des hommages sont rendus à des artistes pour l’ensemble de leur carrière à travers des cérémonies dans le cadre de festivals ou simplement à l’occasion de soirées organisées spécialement à cet effet. C’est ainsi que Hattab Benyoucef, comédien et acteur à la télévision et au cinéma, et dont la carrière se résume à près de 65 années d’expérience, a été dernièrement honoré lors de la tenue de la 8ème édition du Festival national du théâtre professionnel.« J’étais très content qu’on se soit souvenu de moi et de ceux et celles qui, comme moi, ont été honorés et ont, tout au long de leur carrière, contribué à la valorisation du théâtre algérien. En revanche j’étais triste, parce que cette reconnaissance est venue tardivement », dira avec beaucoup d’émotion Hattab Benyoucef, reconnaissant toutefois qu’il n’est jamais trop tard pour faire du bien et donc d’agir en faveur des artistes. «L’artiste, qui joue un rôle important dans la société, contribue à l’éveil de la conscience sociale et participe, en conséquence, au projet de société. Il a besoin qu’on se souvienne de lui, que l’on valorise en lui apportant toute l’attention et l’intérêt qu’il mérite. Et cela ne doit pas être ponctuel et se limiter à seulement des cérémonies», ajoute-t-il. Pour lui, l’artiste ne peut exister le temps d’une cérémonie durant laquelle on lui rend hommage ou encore lors de la Journée de l’artiste.«L’artiste est là, tous les jours, il vit au quotidien. Il existe. Et se souvenir de lui seulement en pareille occasion, c’est le résumer à une courte existence, le réduire à une simple évocation. Or l’artiste est bien plus que cela.»Interrogé sur la Journée nationale de l’artiste, Hattab Benyoucef répondra : « C’est quelque chose de bien, mais une journée ne suffit pas à un artiste pour exister. L’artiste doit exister tout au long de l’année, durant toute sa carrière. Il faut donc lui consacrer plus qu’une journée. C’est mettre à sa disposition toutes les conditions et les possibilités pour qu’il puisse créer et vivre dignement». Cela fait 65 ans que Hattab Ben Youcef pratique le théâtre. C’est une passion à laquelle il s’est voué. Interrogé sur le bilan de sa carrière, il dira : « Si vraiment j’étais amené à faire un bilan de ma carrière, je dirais avec amertume qu’il n’est pas tellement brillant. J’aurais pu faire bien plus, à savoir monter souvent sur les planches (jouer des pièces), figurer dans des castings (tourner des films), aussi bien à la télévision qu’au cinéma, mais je n’ai pu satisfaire pleinement ma passion.» Hattab Benyoucef regrette de n’avoir pu satisfaire pleinement sa passion artistique. D’où la question : Que vous ont apporté le cinéma, la télévision et le théâtre ?«Rien sur le plan financier», soupire-t-il, et de poursuivre : «Mais d’un point de vue moral et artistique, ça été une belle aventure. J’ai pu réaliser mon rêve, celui de monter sur scène ou de paraître à l’écran. J’en garde de bons souvenirs et ce, malgré les difficultés et cette sensation de ne pas être allé jusqu’au bout de ma passion.»«Nous sommes fatigués d’attendre». A la question de savoir où en est-on avec l’artiste, Hattab Benyoucef souligne avec un grand dépit : «A chaque fois, lors des hommages, ils disent de nous, les artistes, que nous sommes la fierté de la culture algérienne, que nous n’avons ménagé aucun effort pour hisser l’art algérien dans toute sa diversité, que ce soit le cinéma, le théâtre, la fiction ou la musique, au plus haut niveau. Mais là, ce ne sont que des mots qui n’apportent rien à l’artiste. Ce dont l’artiste a besoin, c’est bien d’un statut, garantissant son avenir et sa profession.» Et d’abonder : «Qu’en est-il de l’artiste algérien. Je dirai : le pauvre. Il est délaissé. Il est le dernier citoyen en Algérie. C’est un apatride. Il n’a toujours pas de statut. Et quand on parle de statut, il faut d’abord que tous les mécanismes se reconstruisent. Actuellement, on ne cesse de parler de statut, mais sur quels mécanismes doit-il s’ériger et fonctionner. Les mécanismes n’existent pas. Cela relève d’une réelle et effective volonté politique. Nous demandons aux hautes instances de se pencher sérieusement sur la question et de s’en occuper de manière concrète.
Que ce ne soit plus des discours ou des promesses.» Hattab Benyoucef se dit satisfait de la création du Conseil national des arts et des lettres, «mais il faudrait que ce Conseil arrive à répondre au plus vite et concrètement aux attentes des artistes», dit-il, et de renchérir : « L’artiste est las d’attendre. Nous sommes fatigués d’attendre. Nous attendons depuis toute notre vie et rien n’a été fait jusqu’à présent. Il est désolant de voir des artistes qui, après avoir tant donné pour l’art et la culture, sont partis dans l’anonymat le plus total et dans une précarité pathétique.»
Cette ingratitude désole beaucoup notre artiste qui en parle avec émotion. Une corporation qui se meurt ou à défaut qui perd peu à peu l’estime du public. A quand le retour massif vers les bancs au velours soyeux et les tréteaux vernis? Benyoucef Hattab est décédé à l’âge de 86 ans dans une clinique privée d’Alger, où il était hospitalisé dans un état comateux. Il fut inhumé au cimetière d’El-Kettar à Alger.