Le film de James Cameron est peut-être le plus gros succès de tous les temps, mais il n’a laissé aucune trace.
Ça ne fait pas encore dix ans, et pourtant Avatar semble appartenir au passé. à une époque où la 3D était révolutionnaire, où Marvel n’avait pas encore déployé son « cinematic universe » et où Disney n’avait pas encore relancé Star Wars. C’était il y a sept ans à peine, mais en années de cinéma (que l’on devrait compter à peu près comme celles des chiens), c’est une vie entière. Les spectateurs qui pourront découvrir le dernier volet d’Avatar en 2023 n’étaient pas encore nés à la sortie du premier et ceux qui l’ont vu ont depuis longtemps arrêté d’attendre ses suites. Et pourtant, James Cameron revient en fanfare avec un plan septennal et nous peint l’avenir en bleu.
Un film sans mythologie
Le cas Avatar est une exception dans l’industrie du divertissement : projet titanesque aux ambitions démesurées et à la technologie révolutionnaire, à l’inventeur de génie qui créait un monde de toutes pièces, il a connu un succès à sa mesure (il s’agit encore du plus gros succès de l’histoire au box office mondial en dollars non-corrigés), mais n’a laissé aucun héritage. Avatar n’est qu’un film. Au-delà de l’étonnant vide marketing (vous avez déjà vu des produits dérivés ? les seuls rejetons de l’œuvre devaient être des comics qui n’ont toujours pas été édités), James Cameron n’a pas su créer une mythologie. Et sans mythologie propre, une franchise n’est jamais qu’une suite de films que plus personne n’attend vraiment. Car depuis 2009, l’industrie a changé : si Marvel avait posé la première pierre de son nouvel univers avec Iron Man, on ne soupçonnait pas encore son infinitude ; et les secousses que son expansion génèrerait. Toute franchise un peu ambitieuse possède son cinematic universe. DC Comics a mis le temps mais semble enfin lancé avec Batman V Superman, Jurassic Park redevient une franchise, Fast & Furious est inarrêtable et, surtout
«…c’est une époque de guerre civile… ». En 2009, Star Wars n’était plus pour Hollywood qu’un mauvais souvenir. Aujourd’hui, c’est une galaxie en expansion régie par un plan décennal.
Et donc sans fanbase
Voir James Cameron se plier à cette vision stakhanoviste du cinéma qui a conquis l’industrie a quelque chose d’étrange et de décalé. Le cinéaste visionnaire semble largué par un système qu’il n’a pas inventé et auquel il tente de raccrocher les wagons. Dix ans après le premier Avatar, œuvre sans descendant, le public aura-t-il encore envie de repartir sur Pandora ? L’univers qu’il a créé a-t-il le potentiel d’attirer les foules en salles pendant les sept prochaines années ? On ne se rappelle plus bien le chemin d’abord, ni avec qui il faut le faire (Sam Worthington, l’acteur du pire Terminator et du Choc des Titans ?), ni de quoi ça parle vraiment. Pas de livre dérivé, de parc dédié, de figurine, de cosplay, ni d’enfant qui rêve de devenir Na’vi. Rien pour se souvenir, pour entretenir la flamme. Malgré l’énorme succès du film initial, Cameron ne pourra s’appuyer sur aucune fanbase (à part la sienne propre, qui se déplacera toujours pour aller voir ses œuvres), il faudra donc rééduquer le public et promettre gros pour l’attirer en salles. D’autant qu’en termes technologiques, la révolution 3D qu’Avatar initiait n’a jamais eu lieu et la performance capture (qu’il n’a pas inventée) s’est largement démocratisée.
Reste un contre-argument de taille : James Cameron himself. à part avec Abyss (semi-échec commercial), le cinéaste a toujours tenu ses paris fous, surpris, émerveillé, et fait s’incliner les sceptiques. Accessoirement, il a déjà prouvé qu’avec lui, l’attente n’était pas vaine : il avait fallu attendre sept ans pour découvrir la suite de Terminator (une des meilleures suites de l’histoire du cinéma), et douze ans s’étaient écoulés entre Titanic et Avatar. Et à chaque fois, tel le Steve Jobs du cinéma, Cameron revient sur scène avec une promesse de révolution à laquelle personne ne croit. Et qui finit réalité.