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APRÈS LA GUERRE, UNE NOUVELLE BATAILLE CONTRE LES DÉCOMBRES ET LA MORT SILENCIEUSE : Ghaza, la ville ensevelie

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Quand les bombes se sont tues et que le vacarme des explosions a laissé place à un silence épais, beaucoup à Ghaza ont cru qu’un souffle de répit venait enfin. Mais sous les gravats, une autre tragédie se préparait, moins bruyante, mais tout aussi implacable : celle du déluge de débris, de poussière et de déchets qui étouffe désormais la ville.
Les habitants, sortis des ruines, découvrent une Ghaza méconnaissable, une terre sans traits ni contours, où les rues ont disparu sous les montagnes de gravats, et où les déchets s’amoncellent au point d’empêcher l’installation d’une tente ou le passage d’un enfant. À l’est de Khan Younès, dans le sud du territoire, Bassam Al-Najjar est revenu dans son quartier après des mois d’exil. Ce qu’il retrouve n’a plus rien à voir avec le lieu qu’il a quitté. « Quand nous sommes revenus, nous n’avons rien reconnu. Même les mosquées ont disparu, les avions ont tout effacé, jusqu’à la mémoire du lieu », raconte-t-il, la voix lourde. Le même désarroi habite Ibrahim Asfour, de la localité d’Al-Maghraqa, revenu après l’annonce du cessez-le-feu. « Le silence est plus terrible que le bruit des bombes », dit-il. « Les rires des enfants, le cri des marchands, le vrombissement des voitures, tout a disparu. Il ne reste qu’un voile gris, un linceul de poussière et de ruines. » Les frappes n’ont pas seulement rasé les maisons : elles ont brisé la trame même de la vie. Les réseaux d’eau, d’électricité et d’assainissement sont détruits, les routes impraticables, les télécommunications coupées. Plus de 85 % des engins lourds ont été anéantis, rendant l’enlèvement des décombres quasi impossible. Selon les estimations onusiennes, plus de 60 millions de tonnes de gravats et de déchets doivent être retirées pour simplement rouvrir les routes et accéder aux hôpitaux, aux écoles, ou aux points d’eau.

Les déchets de la mort
Autour des camps de fortune, notamment à l’ouest de Khan Younès, les déchets s’entassent jusqu’aux portes des tentes. Salman Abou Abed, déplacé depuis le nord, décrit une scène infernale : « Les détritus nous encerclent. On y trouve des restes de nourriture, des animaux morts, une odeur qu’on ne peut fuir. Les rats et les insectes sont partout, ils piquent les enfants la nuit. On meurt lentement, non plus sous les bombes, mais sous la puanteur et les maladies. » Face à l’université Al-Aqsa, au sud de Khan Younès, un immense dépôt de déchets s’est formé. L’eau usée y stagne, formant un bourbier toxique que les habitants appellent désormais « le marécage de la mort ». Des milliers de déplacés vivent à proximité de ce foyer de contamination. Pour Jacko Cilliers, représentant du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) en Palestine, « la gestion des déchets solides à Ghaza représente l’un des plus grands défis » de la reconstruction. Le programme supervise actuellement 47 sites temporaires de collecte. « Malheureusement, beaucoup de déplacés vivent près de ces sites, mais nous travaillons à leur réhabilitation pour éviter une catastrophe sanitaire », précise-t-il. Dans le cadre d’un partenariat avec le ministère palestinien des Travaux publics, l’Agence arabe internationale pour la reconstruction et le PNUD tentent de rouvrir les grands axes et de dégager les quartiers prioritaires. Ces efforts s’inscrivent dans la stratégie de relèvement d’urgence du gouvernement de Ghaza, qui tente tant bien que mal de coordonner les opérations malgré le blocus imposé par l’entité sioniste.

Des chiffres alarmants
Les données du Bureau central palestinien des statistiques donnent la mesure du désastre : depuis le 7 octobre 2023, plus de 102 000 bâtiments ont été totalement détruits, 192 000 gravement endommagés. Au total, plus de 330 000 unités d’habitation sont inhabitables. S’y ajoutent des centaines d’écoles, d’universités, d’hôpitaux, de mosquées et d’églises rasées, sans compter les zones industrielles et agricoles rayées de la carte. À Ghaza même, huit pompes principales à eau sont à l’arrêt, provoquant des fuites massives d’eaux usées dans les rues. L’Autorité de l’eau alerte sur le risque de contamination des nappes phréatiques : les égouts débordent, les réservoirs de boisson se polluent, et les pluies d’hiver pourraient provoquer un désastre épidémiologique. À Khan Younès, plus de 400 000 tonnes de gravats et 350 000 tonnes de déchets doivent encore être évacuées. Près de 300 kilomètres de canalisations d’eau ont été détruits, effaçant des années d’infrastructures publiques.

Un territoire rendu invivable
Les experts craignent qu’une telle concentration de déchets toxiques entraîne des flambées de maladies respiratoires, cutanées et intestinales, aggravées par la surpopulation dans les camps. Ghaza se transforme peu à peu en un piège écologique. Et pourtant, au milieu de ces décombres, la volonté de vivre persiste. Thair Al-Astal, habitant de Khan Younès, regarde les collines de gravats en murmurant : « Sous ces pierres, il y a peut-être nos morts, mais aussi la promesse d’une vie nouvelle. Si la trêve tient, nous reconstruirons. » Ainsi, Ghaza, ville broyée par la guerre et désormais assiégée par ses propres ruines, livre une autre bataille : celle de la survie dans un paysage que même la mémoire peine à reconnaître. La reconstruction ne sera pas seulement affaire de béton et d’argent ; elle sera un combat contre l’oubli, contre la mort lente des corps et des lieux, contre l’effacement délibéré d’un peuple et de son histoire.
M. S.

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