Ancien moudjahid et figure clé parmi tant d’autres dont l’histoire, d’avant et post-Révolution de l’Algérie, a besoin, Salah Goudjil intervient, hier, au Forum du Courrier d’Algérie, pour narrer et témoigner de son vécu révolutionnaire, les faits qui l’ont marqué, ainsi que les dits et les non-dits de la Guerre de libération nationale. Compagnon de Mostefa Ben Boulaïd, le commissaire politique actif dans la région des Aurès, revient sur le parcours de celui qualifié par Krim Belkacem de «Père de la Révolution».
Malgré son âge avancé et le poids de l’histoire qui pèse sur ses épaules, Salah Goudjil, armé d’un sourire qui ne le quitte jamais, retrace, de bout-en-bout, le cheminement révolutionnaire de l’Algérie, ses objectifs et ses acteurs clés. D’emblée, et contexte oblige, l’invité du Courrier d’Algérie raconte le 5 Juillet et la situation socio-économique qui a prévalu à l’Indépendance. «En 1962, nous étions 8 millions d’Algériens, un million de Français et près d’un million de soldats français encore sur le territoire algérien. Aussi, nous avons compté 1,5 millions de chahid, 400 000 prisonniers, 300 000 réfugiés entre “Tunisiens” et “Marocains” et quelque 2 millions de démunis. Sur le plan économique, l’Algérie était dévastée», présente comme tableau l’actuel membre du Conseil de la nation, qui se demande comment et par quel «miracle» l’Algérie a su survivre alors que «logiquement, il ne devait y avoir ni électricité, ni eau et ni encore du pain pour subvenir aux besoins des citoyens». Une situation miraculeuse surtout que le pays devait relever le défi de la rentrée scolaire de septembre 1962. Pour ce faire, «nous avons mobilisé tous les cadres titulaires d’un certificat d’études pour enseigner les élèves scolarisés sachant que les instituteurs français, et les Algériens qui étaient avec eux, ont quitté le pays», rappelle Goudjil qui plaide un retour sur cette période précise pour en évaluer les péripéties.
Goudjil raconte Mostefa Ben Boulaïd…
«L’histoire de la Révolution est constituée d’évènements et l’évènement le plus important est la Déclaration du 1er Novembre 54. Et, pour parler de cet évènement, il faudra en rappeler la cause et les retombées, négatives ou positives. C’est ainsi qu’on pourrait se rapprocher de la vérité…», estime Salah Goudjil qui renvoie de ses propos aux dissensions qui ont donné lieu à une rupture entre centralistes et messalistes au sein du PPA-MTLD. «Entre ces deux parties, des militants qui n’étaient d’accord ni avec l’un ni l’autre ont créé le Comité révolutionnaire d’unité et d’action (CRUA), composé de militants de l’Organisation secrète (OS) d’entre 1947 et 1951. Les membres du CRUA avaient alors multiplié les contacts entre eux. Cependant, ils ne se réunissaient pas régulièrement et ils étaient connus des services français. Dans ce lot, figure un homme d’exception qui a joué un rôle central dans le déclenchement de la Révolution, pour deux raisons : Mostefa Ben Boulaïd, puisque c’est de lui qu’il s’agit, était d’abord membre du Comité central du PPA-MTLD et deuxièmement, il dispose de moyens pour circuler. D’ailleurs, il s’était déplacé en voiture depuis les Aurès jusqu’à Alger lors de la réunion du Groupe des 22 historiques, le 25 juin 1954. Ce qui n’était pas à la portée de tous. On aurait pu avoir alors une réunion de 30 jusqu’à 40 membres…», raconte Goudjil pour évoquer le parcours exceptionnel et le rôle primordial joué par son ténor et proche compagnon pour l’avoir accueilli, lui et ses pairs, lors de sa fuite de prison en novembre 1955 de la prison de Constantine.
«Le rôle de Si Mostefa dans l’engagement de la Kabylie»
Ensuite, viendra la réunion des «Six historiques» qui ont déclenché la Révolution de 54, notamment les Rabah Bitat, Didouche Mourad, Mohamed Boudiaf, Krim Belkacem, Larbi Ben M’Hidi et dont Mostefa Ben Boulaïd. À leur époque, ces membres n’étaient pas connus de l’opinion publique. D’où l’idée qui leur était venue de faire appel à Messali Hadj, qui se trouvait en Belgique, pour diriger et mener en leader l’appel du 1er Novembre. «En juillet 1954, Ben Boulaïd est allé voir Messali, l’a informé de la réunion et il lui a fait la proposition. Messali a refusé et a dit que c’est à lui de décider quand il faut déclencher la Révolution et c’est aux autres membres de suivre. C’était la réponse de Messali. À la même période, Ben Boulaïd quitte la Belgique et prend la destination de Paris. Sur place, il rencontre deux frères de combat. Il y a Ammar Ben Aggoune (toujours vivant) et Ahmed Nouaoura qui avaient rejoint la lutte dans le pays. Ben Boulaïd les a tenu informés de la réponse de Messali et les a invité à rejoindre les rangs de la Révolution», raconte-t-il, en témoin, une partie d’une période précédant les préparatifs du déclenchement de la Révolution de 54 que Goudjil appelle à l’exploitation par les historiens, tant elle est riche d’évènements. Après Messali, les membres du «Groupe des six» sollicitent le SG du PPA, Mohamed Lamine Debaghine, lequel a aussi refusé aussi bien que Abdelhamid Mehri, selon l’orateur. Il ne restait alors que l’extérieur. «Mostefa Ben Boulaïd a marché jusqu’en Libye où il a rencontré Ahmed Ben Bella. Plus tard, j’ai parlé avec l’ex-Président qui m’a témoigné avoir soigné Ben Boulaïd qui a trop marché et a eu mal aux pieds. Toutefois, Ben Bella ne m’a pas dit que Ben Boulaïd est allé continuer son parcours pour aller voir Djamel Abd Ennacer au Caire…», témoigne encore Salah Goudjil, qui fait état d’un large écho à l’époque répercuté par l’ex-président égyptien concernant non seulement la Révolution algérienne mais aussi au Maroc et en Tunisie. «Tel est le véritable Printemps Arabe», qualifie Goudjil, qui rappelle la position de Ben Boulaïd et son rôle dans l’engagement de la Kabylie dans la Révolution. «Il dit que l’on ne peut pas mener la Révolution sans la Kabylie. Or, on disait que Krim Belkacem et Amar Ouamrane étaient avec Messali. Seulement, lors du congrès des messalistes à Bruxelles, c’était Si Zamoum qui avait représenté la Kabylie. Ce qui fait que Krim et Ouamrane n’étaient pas avec Messali !», comme témoignage apporté par l’invité du Forum. «Si Mostefa a dit qu’on doit les convaincre de se démarquer de Messali pour nous rejoindre», dira encore l’orateur qui témoigne des bons contacts qu’entretenait déjà Ben Boulaïd avec le «Lion des Djebel» au sein de l’Organisation secrête (OS). Preuve en est que, Krim Belkacem a qualifié Ben Boulaïd de «père de la Révolution», témoigne l’ancien ministre sous la présidence du défunt Chadli. Autrement, des contacts entre l’Aurès et la Kabylie qui se sont soldés par l’échange d’informations et d’armements. Autant de témoignages de Goudjil, en tout cas, qui serviront à l’écriture de l’Histoire sous ses multiples facettes, glorificatrices ou sombres soient-elles, pour que l’Algérie se réconcilie avec son passé. Enfin, dans la foulée, le moudjahid dit s’atteler à écrire ses mémoires pour apporter sa pierre à l’édifice historique de l’Algérie.
Farid Guellil