Des divergences se font au sommet de l’état français à propos de l’interdiction du burkini sur les plages. Manuel Valls, le Premier ministre français contredit par deux de ses ministres à propos des arrêtés anti-burkini.
Nadjat Valaud Belkacem, ministre française de l’éducation nationale voit dans les arrêtés interdisant le port du burkini, une tenue couvrant le corps de la femme pendant la baignade, une «dérive de la République». Nadjat Valaud Belkacem n’a pas fait dans la litote pour dénoncer les arrêtés anti-burkini. Jeudi sur Eurpe, elle a estimé que « la prolifération » de ces arrêtés n’était « pas la bienvenue ». « Jusqu’où ira-t-on pour vérifier qu’une tenue est conforme aux bonnes mœurs», s’est interrogée la ministre. Elle a expliqué que ces arrêtés « libéraient la parole raciste ». « Rien n’établit de lien entre terrorisme, Daech, et tenue d’une femme sur une plage», affirme-t-elle encore. Cependant, Manuel Valls voit dans les propos de sa ministre de l’éducation, une mauvaise interprétation des décisions prises par les maires de certaines municipalités pour interdire le port du Burkini sur les plages. La mise au point du Premier ministre n’a pas eu l’effet escompté puisque d’autres membres de son gouvernement ainsi que des responsables du Parti Socialiste (PS) partagent l’avis de Nadjat Valaud Belkacem. La ministre de la Santé, Marisol Touraine s’oppose aux arrêtés anti-burkini et à la «stigmatisation» du voile. Marisol Touraine se joint à Nadjat Valaud Belkacem pour dénoncer ce qui s’apparente à une compagne antimusulman menée par les responsables de municipalités de droite et d’extrême droite en France. Dans un post de blog relayé sur son compte Twitter, Marisol Touraine a estimé que «la laïcité n’est pas le refus de la religion : c’est une garantie de liberté individuelle et collective» «Elle ne peut pas et ne doit pas devenir le fer de lance d’une stigmatisation dangereuse pour la cohésion de notre pays», a-t-elle mis en garde. Marisol Touraine, tout comme Nadjat Valaud Belkacem, a critiqué les arrêtés anti-burkini, accusant leurs initiateurs de «faire le jeu de Deach». En pointant du doigt le burkini ou bien le simple port du voile islamique, comme risque de «trouble à l’ordre public» (selon les justifications desdits arrêtés) ouvre la voie, selon elle, à une «stigmatisation dangereuse des musulmans de France». à ce titre, elle n’épargne pas, l’ancien président français et néanmoins candidat aux primaires des Républicains, Nicolas Sarkozy. «Ce climat de haine, ces divisions attisées, le fanatisme en fait son carburant. Il est plus facile de convaincre des individus de se retourner contre un pays dont on leur fait croire qu’il les rejette. Et quand j’entends un ancien président de la République mélanger immigration, religion et terrorisme, pour appeler à l’assimilation, j’enrage. Ce débat sur l’identité relancé ad nauseam est pernicieux et dangereux, précisément parce qu’il permet toutes les dérives», a déploré la ministre française de la Santé. De son côté, la maire de Paris, Anne Hidalgo a aussi dénoncé l’ampleur de la polémique autour du burkini.
Au cours d’une conférence de presse commune avec le maire de Londres, Sadiq Khan, la maire de Paris a critiqué la compagne anti-burkini menée par certains cercles en France qui instrumentalisent ce genre de questions à des fins politiques. «Aller chercher un sujet comme celui là et le poser comme l’alpha et l’oméga autour duquel toute la vie politique française devrait être tournée […] je trouve que l’on est dans une sorte d’hystérie médiatique qu’il faut arrêter», a-elle estimé. Et d’ajouter : «Il ne faut pas prendre des sujets qui sont symboliques pour en faire des sujets autour desquels tournerait le débat politico-médiatique. Il y a d’autres choses beaucoup plus importantes en France». Les images de la police verbalisant une femme portant le simple voile islamique sur une plage à Nice ont fait le tour du monde et choqué plus d’un. La décision de certaines municipalités d’interdire le port du voile ou du burkini sur les plages est tournée en ridicule par la presse internationale. Des associations de défense des droits de l’homme montent au créneau et dénoncent une «atteinte à la vie privée» La Ligue des droits de l’homme (LDH) compte saisir la juridiction administrative d’une procédure en suspension de cet arrêté et le procureur de la République d’une plainte pénale contre le maire de Cannes, estimant que l’arrêté «détourne la laïcité de sa vocation». De son coté, SOS Racisme dénonce une «stratégie de la tension» qui serait mise en œuvre par le maire de Cannes.
Hacène Nait Amara
Le Conseil d’état suspend l’arrêté
Le Conseil d’État a suspendu, hier, l’arrêté dit «anti-burkini» de Villeneuve-Loubet (Alpes-Maritimes), dans une décision très attendue, alors qu’une trentaine de communes en France ont pris des dispositions similaires. Un collège de trois juges examinait les requêtes déposées par la Ligue des droits de l’Homme (LDH) et le Comité contre l’islamophobie en France (CCIF) contre une ordonnance en référé, rendue le 22 août par des juges du tribunal administratif de Nice. Elle validait l’arrêté de la municipalité, donnant tort aux deux associations qui réclamaient son annulation en urgence. Cette ordonnance avait validé de façon totalement incompréhensible l’arrêté municipal adopté par la mairie de Villeneuve-Loubet interdisant l’accès aux plages aux personnes portant des signes religieux, et en particulier celles revêtant une combinaison de bain dite «burkini». Le juge avait considéré que la restriction apportée à la liberté d’expression des convictions religieuses était justifiée, considérant notamment que ce vêtement couvrant pouvait «porter atteinte aux convictions ou à l’absence de convictions religieuses des autres usagers de la plage», «être ressenti par certains comme une défiance ou une provocation exacerbant les tensions», qu’il pouvait être analysé comme l’expression d’un «effacement» de la femme et «d’un abaissement de sa place qui n’est pas conforme à son statut dans une société démocratique» et qu’enfin les plages, dans un État laïc, devaient «rester un lieu de neutralité religieuse». Face à ces arguments fondés non pas sur le droit mais sur des appréciations morales et contextuelles, le Conseil d’État a considéré que l’atteinte portée par cet arrêté à la liberté religieuse n’était pas justifiée par l’existence d’un trouble réel à l’ordre public. Les avocats respectifs du CCIF et de la LDH, Maîtres Guez Guez et Spinozi, avaient demandé au Conseil d’État l’application de sa jurisprudence classique et constante relative à loi sur la laïcité et à l’ordre public, et plaidé l’absence de trouble à l’ordre public et d’atteinte au principe de laïcité. Enfin, ils avaient appelé à juger en droit à l’abri des polémiques politiques. Ils ont été entendus et suivis. L’exécution de l’arrêté du maire de Villeneuve-Loubet est donc suspendue. Cet arrêt du Conseil d’État va faire jurisprudence et par conséquent tous les autres arrêtés municipaux d’une teneur identique, illégaux par ricochet, vont devoir être retirés dans les plus brefs délais.
Synthèse H. N. A.