Sofia se tord de douleur. A 18 ans, cette combattante des Farc vient de subir sa première blessure dans un bombardement, dernier soubresaut d’un conflit auquel la guérilla et le gouvernement colombien cherchent à mettre fin depuis plus de trois ans. Malgré la trêve partielle observée sur le terrain, un obus de mortier tiré par l’armée a touché cinq guérilléros en février dernier. Sofia a été grièvement atteinte, avec des blessures sur le côté droit du corps : à la cuisse, au pied et au bras.
« On ne s’y attendait pas », balbutie-t-elle, à peine consciente, à son retour dans un camp de la rébellion de la vallée de Magdalena Medio, dans le nord-ouest de la Colombie, où une équipe de l’AFP a été exceptionnellement autorisée à se rendre mi-février. La colonne rebelle a été visée par une attaque de l’armée, qui est pourtant censée avoir suspendu ses bombardements contre les Farc depuis plusieurs semaines, en réponse au cessez-le-feu observé par la guérilla depuis huit mois.
Tenu secret pendant un mois, l’incident a été confirmé samedi par le chef suprême des Forces armées révolutionnaires de Colombie (Farc), Timoleon Jimenez. Les rebelles affirment ne pas avoir répliqué aux tirs. De leur côté, les militaires n’ont pas commenté publiquement cette attaque. « L’armée était au courant de notre présence! », assure Sofia. La colonne des Farc a été prise pour cible au moment où elle partait à la rencontre d’un des commandants qui participent aux pourparlers de paix menés depuis fin 2012 à La Havane. Ce dernier, autorisé par Bogota à venir informer ses troupes des derniers développements des négociations, a finalement renoncé à rejoindre le camp.
« Le dernier mort de la guerre »
Sur place, Olga, 30 ans, retire sans ménagement le bandage ensanglanté qui avait été appliqué à la hâte sur la cuisse de Sofia, coupée en profondeur par l’éclat d’obus. Dans les zones montagneuses reculées où les rebelles trouvent refuge, les hôpitaux de campagne s’organisent dans l’improvisation et l’urgence, avec les moyens du bord.
Nul doute que Sofia se souviendra longtemps de sa première épreuve du feu, survenue deux mois à peine après avoir rejoint les rangs des Farc. Touché près de la carotide, Julian s’en tire, lui, plutôt bien, avec seulement un point de suture au cou. Compagnon de Sofia, il l’avait convaincue de rejoindre le mouvement. Le jour de l’attaque, il a porté sa fiancée blessée dans ses bras jusqu’au campement. « C’est dur de penser que quelqu’un va être le dernier mort de la guerre, alors qu’un processus de paix est en cours », confie ce jeune combattant de 23 ans au chevet de sa compagne.
Non loin du lit de Sofia, est allongé Michael, 18 ans, maintenu sous perfusion de glucose. Blessé à la main, il a failli perdre trois de ses doigts.
« Nous avons l’ordre d’éviter (de répliquer aux tirs, ndlr) à cause du processus de paix », commente-t-il sobrement. Il y a huit ans, Enrique n’a pas eu autant de chance. Il a perdu son bras gauche dans un bombardement de l’armée. Depuis, ce combattant de 33 ans, dont 16 passés au sein de rébellion, s’est reconverti en opérateur radio.
Aucun répit pour les combattants
« Nous avons subi beaucoup de pertes du fait de la dureté du conflit », raconte Enrique, qui a vu trois de ses camarades mourir dans l’affrontement au cours duquel il avait été blessé. Au fil de cinq décennies, le complexe conflit colombien a fait plus de 260.000 morts, impliquant guérillas d’extrême gauche, paramilitaires d’extrême droite et forces armées, sur fond de violences des narcotrafiquants. Aujourd’hui, au moment où la paix se rapproche, Enrique commence à songer que lorsque « le plus dur » sera passé, « arrivera le moment où on devra choisir une spécialité pour jouer son rôle dans le nouveau processus » censé faire passer la guérilla du côté de la légalité. A Cuba, Farc et gouvernement s’étaient engagées à signer un accord de paix le 23 mars, mais cette date butoir a été reportée la semaine dernière en raison de désaccords persistants. Enrique ne sait pas encore quelle sera sa nouvelle vie après la paix, mais en attendant que les choses se décantent à La Havane, la routine de la guérilla n’accorde aucun répit à ses combattants.
Chaque matin, ils lèvent le camp avant l’aube pour entamer de longues marches dans la jungle, et ne s’arrêtent que pour couper du bois, préparer les repas et camper. Les bons jours, ils peuvent s’offrir le luxe d’une toilette au bord d’une rivière. Mais sans s’attarder. Les rebelles ne restent jamais très longtemps au même endroit.