Le professeur Abdelaziz Djerad, spécialiste des relations internationales, intervient, hier, sur les ondes de la Radio nationale de la Chaîne III, et revient sur les récents attentats terroristes perpétrés en Tunisie, pour décortiquer le phénomène dévastateur qui a tendance à dévaler sur toute la région, n’excluant pas une menace sur l’Algérie.
Dans la matinée de lundi dernier, un groupe terroriste a mené trois attaques simultanées contre des postes de la Garde nationale de la police tunisienne et une caserne militaire, à Ben Guerdane, au sud-est de la Tunisie, près de la frontière libyenne. Le premier bilan de l’agression fait état de 28 terroristes abattus, la mort d’une dizaine d’éléments issus de divers services de sécurité et la perte de sept civils. Mercredi, un nouveau bilan portant le nombre des hommes armés éliminés à 42 a été rendu public par les autorités tunisiennes. Cette nouvelle montée fulgurante des terroristes de Daech invite davantage à toutes les interrogations, conjuguées aux inquiétudes suscitées par la horde meurtrière dans la région, du fait des graves bouleversements qui y prévalent. Pour Abdelaziz Djerad, le dernier attentat commis en Tunisie n’est pas un fait dissociable du redéploiement de l’organisation sinistrement célèbre, «Daech», dans la région du Maghreb, du Proche-Orient et du Sahel notamment. Un état de fait qui doit son origine à la décomposition de l’État libyen ayant suivi le mouvement de déstabilisation de ce pays depuis l’éclatement en 2011 de ce qui est prétendument appelé «printemps arabe». La Tunisie qui partage ses frontières avec la Libye paye, en quelque sorte, les conséquences d’une guerre qui ne dit pas son nom. Il va sans dire que le foisonnement des armes appartenant à l’armée de l’ex-leader et Guide libyen, Mouammar Kadhafi, tué après avoir été capturé vivant, est l’autre facteur qui a fait que l’hydre terroriste a pris de l’ampleur dans la région et continue de semer sa terreur, sous les yeux de l’opinion internationale qui assiste impuissante à ce phénomène imprévisible, dont la capacité de nuisance pourrait frapper n’importe quel point du Globe, à tout moment et avec n’importe quel moyen. Ça ne s’arrête pas là, puisque Djerad prévient que cette situation qui dure déjà depuis longtemps ne fera que s’accentuer davantage et la menace de toucher l’Algérie est une thèse plausible. Ceci, est d’autant plus prévisible dès lors que cette organisation terroriste entend imposer sa propre loi par la force, en semant la terreur parmi la population dans le monde. Et au-delà, elle prétend pouvoir mettre en place un «califat» ou État islamique pour infliger son règne.
Qu’en est-il de la stratégie à mettre en œuvre pour faire face à cette menace? Pour l’ex-secrétaire général au ministère des Affaires étrangères, il n’y pas que la solution armée pour contrer les groupes terroristes et il soutient qu’au-delà de répondre par des interventions musclées, comme l’ont fait les autorités tunisiennes, qui, faut-il le souligner, ont réussi à déjouer un attentant qui aurait pu mettre en péril plusieurs victimes, d’autres moyens à privilégier sont en mesure d’arrêter l’avancée inquiétante de Daech dans la région, notamment l’Algérie. En plus de la nécessité de déployer les forces de sécurité tout au long de la frontière tunisienne, comme impératif à la préservation des vies humaines, il faudra intensifier les efforts diplomatiques pour trouver une solution globale au phénomène, a recommandé le professeur en parlant des moyens à prendre sur le plan externe. à ce titre, il faut mettre l’accent sur «l’action diplomatique» qu’il faudra mener a soutenu Djerad, par la sensibilisation des pays de la région (Maghreb, Sahel), les États de l’Union Européenne qui partagent le bassin méditerranéen ainsi que les pays africains, en vue d’intensifier les efforts à même de répondre de manière efficace au terrorisme. Quant au volet interne, l’ex-directeur de l’ENA (École nationale d’administration), soutient qu’il y’a lieu tout aussi de se focaliser sur la sensibilisation de la population nationale en général, et des composantes de la société civile en particulier, sur la menace «réelle» qui y pèse sur le pays. Il ne s’agit pas «d’alarmer, mais d’alerter l’opinion publique sur le menace qui tourne autour des frontières», afin de prendre conscience de cette même réalité. Il est bon de rappeler que la stratégie mise en œuvre par l’Algérie dans la lutte contre le terrorisme se focalise sur la «déradicalisation», comme moyen préventif de réponse globale au phénomène de l’extrémisme violent et du terrorisme.
Ainsi, conscientiser les esprits des citoyens et des partis politiques qui doivent s’«intéresser un peu plus» à la problématique du terrorisme peut constituer une sorte de veille face à ce phénomène. Aussi, a soutenu le professeur, il faudra recadrer en quelque sorte le discours religieux, et d’amener les oulémas notamment, à s’exprimer davantage sur le sujet dans les mosquées par l’émission de prêches destinés à clarifier et à attirer l’attention des citoyens sur les dangers que constitue le «risque de manipulation de la religion», a prévenu Djerad. À comprendre, qu’à l’intérieur du pays il existe toujours une sorte de «cellules dormantes» qui véhiculent un discours religieux extrémiste et font l’apologie du terrorisme. D’où le risque de voir réapparaitre de nouveaux groupuscules «jusqu’au-boutistes» n’est pas à écarter, a laissé entendre l’invité de l’émission de la Chaîne III.
Corrélation entre terrorisme et crise pétrolière
La cartographie géopolitique de la mouvance terroriste, dite «État Islamique», s’étend sur plusieurs régions, partant du Machrek jusqu’au Sahel. C’est ce qui explique la montée des actes terroristes dans la région, dont la dernière attaque en date est enregistrée en Tunisie. Devant cette menace, il y’a une «prise de conscience internationale sur ce phénomène», a noté Djerad. Et pour cause, il a expliqué que les puissances occidentales qui ont «directement ou indirectement» été à l’origine de la création de Daech dans la région, depuis notamment l’effritement des pays, comme l’Irak, la Syrie, la Libye…, «ont laissé faire» au lieu de prendre leur responsabilité, a indiqué l’orateur. Donc, le débordement des groupes terroristes dans la région du Moyen-Orient et le risque d’atteindre les pays du Sahel, tel que le Niger n’est plus à écarter selon l’ex-SG du MAE. Et à lui d’expliquer que la stratégie d’expansion du groupe terroriste réside dans la récupération des territoires par l’établissement de jonctions. Le prochain objectif de Daech, donc, reste la conquête du Sahel, «ventre mou» de l’Afrique, entrevoit dans son analyse Djerad, qui a précisé que la situation de chaos prévalant dans ces pays constitue la «faille» à l’amplification terroriste. Gouvernance qui laisse à désirer, foisonnement de toute sorte de trafics et de banditisme, sont pour lui des facteurs de fébrilité qui laissent place à l’invasion de Daech. S’agissant de la lutte contre le phénomène, Djerad a rappelé la position de la diplomatie algérienne qui prône une solution pacifique et globale, devant passer d’abord par le règlement du conflit libyen initialement. Même si, apprend le professeur, l’Algérie n’a pas toutes les cartes entre les mains, du fait de la mainmise de l’Occident sur ce pays, d’où la nécessité de mener un «effort diplomatique et politique» entre tous les acteurs impliqués, a-t-il fait savoir. D’autre part, le spécialiste des relations internationales a estimé qu’il y’a quelque part une corrélation entre tous ces bouleversements et la conjoncture de crise économique liée au flottement des cours pétroliers, d’où l’enjeu économique. «Il y’a une sorte de course entre les trois États impériaux du 21e siècle qui sont les USA, la Russie et la Chine», a-t-il analysé. Un état de fait qui donne lieu à une nouvelle carte géopolitique qui se profile à l’horizon.
Farid Guellil