Huit ans après la proclamation de son indépendance dans l’euphorie générale, le Kosovo, théâtre ces derniers mois d’interruptions de sessions parlementaires avec du gaz lacrymogène et de violences dans la rue, laisse l’impression d’un État qui ne fonctionne pas.
Pour Albin Kurti, fer de lance de l’opposition et leader des récentes manifestations contre le pouvoir, des mesures radicales sont nécessaires pour « sauver » le Kosovo. « Nous agissons ainsi parce que ce pays est confronté à (…) un grand danger », explique à l’AFP M. Kurti, récemment remis en liberté après avoir été détenu en raison de son rôle dans les manifestations.
Depuis octobre, M. Kurti et ses collègues élus de l’opposition ont multiplié les interruptions de séance parlementaire en lançant du gaz lacrymogène dans l’hémicycle, paralysant de fait ses travaux. Au sommet de la liste de leurs griefs : un accord de « normalisation » des relations avec la Serbie, conclu par Pristina et Belgrade sous la houlette de l’Union européenne. Celui-ci prévoit notamment la mise en place d’une association des municipalités serbes au Kosovo, pour donner davantage de droits à cette minorité. Mais, selon ses détracteurs, il permettra à la Serbie d’avoir une mainmise sur les municipalités concernées. Une nouvelle manifestation contre l’accord est prévue mercredi, jour de l’indépendance. Pour les sympathisants de l’opposition, cependant, cette question n’est que le catalyseur d’un ras-le-bol beaucoup plus large. « Le Kosovo n’est pas ce dont nous avons rêvé », dit à l’AFP Petrit Ramadani, 32 ans, cadre dans le secteur informatique, « nous sommes totalement déçus ». Avec ses amis, vétérans des précédentes manifestations, ils dénoncent à la fois la corruption et le mépris de la classe politique pour les quelque 1,8 million d’habitants du pays, en grande majorité des Albanais de religion musulmane et dont 70% ont moins de 35 ans.
Beaucoup d’entre eux rêvent de partir à l’étranger pour fuir la pauvreté et le chômage qui, selon la Banque mondiale, touche environ 40% de la population. L’indépendance du Kosovo, à laquelle la Serbie s’oppose farouchement, a été reconnue à ce jour par une centaine de pays, dont les Etats-Unis et la plupart des pays de l’UE, mais pas par la Russie, la Chine et l’Espagne. Le pays n’est pas membre des Nations Unies.
Harmonie sur le papier
Malgré le peu de progrès, Hashim Thaçi, Premier ministre lors de la proclamation de l’indépendance et actuel chef de la diplomatie kosovare, se dit « plein d’espoir ». « Nous ne sommes pas parfaits et devons faire plus, mais nous avançons », a-t-il dit lors d’un entretien à l’AFP dans l’immeuble du gouvernement qui porte encore les séquelles de la manifestation du 9 janvier.
Il rappelle que le Kosovo a signé en octobre un accord de pré-adhésion à l’UE grâce à celui sur la « normalisation » des relations avec Belgrade. Le volet sur l’association des municipalités serbes a été conclu en « pleine coopération » avec l’UE et les États-Unis, explique M. Thaçi. Washington est le plus fidèle allié du Kosovo depuis la campagne de bombardement de la Serbie par l’Otan pour mettre fin au conflit entre les forces de Belgrade et les indépendantistes albanais du Kosovo (1998-99). Un dépliant officiel distribué lors d’une récente conférence internationale à Pristina, présentant un « pays super dynamique » où règne une coexistence harmonieuse des religions et des langues, reflète mal une réalité bien plus compliquée. La ville de Kosovska Mitrovica (nord), divisée entre les communautés serbe et albanaise, où un pont enjambant la rivière qui les sépare est gardé par les forces de l’Otan, l’illustre bien.
Les quartiers serbes sont parés de drapeaux de la Serbie, les murs de graffitis pro-serbes ou pro-russes. Une grande affiche accrochée à la façade d’un immeuble montre le président russe Vladimir Poutine s’éloignant de la Maison Blanche en flammes. Ksenija Bozovic, responsable municipale à Mitrovica nord, où les Serbes sont majoritaires, dit que sa communauté a « les yeux tournés vers Belgrade » pour régler ses problèmes. L’association des municipalités serbes est entourée de confusions et d’inquiétudes, selon elle. « Pristina nous présente une version et Belgrade une autre », déplore Mme Bozovic. « Une chose est sûre : ici, les Serbes attendent beaucoup de cette association ».