La pression de l’UE à l’égard d’Athènes est encore montée d’un cran, alors que de plus en plus de pays – la Hongrie, l’Autriche, la Slovénie – réclament la fermeture de la frontière entre la Grèce et la Macédoine, afin de drastiquement limiter le flux des migrants et bloquer la désormais fameuse « route des Balkans ». Réunis à Amsterdam, les ministres de l’Intérieur européens ont demandé à la Commission d’activer une procédure – aussi délicate politiquement que complexe à mettre en œuvre – qui consiste à permettre un retour des contrôles aux frontières intérieures de Schengen pour deux ans. Ce qui de fait exclurait la Grèce, première porte d’entrée des migrants en Europe, de cet espace de libre circulation pourtant considéré comme un des acquis les plus précieux de l’UE. Selon nos informations, le collège de la Commission examinera cette requête dès ce mercredi, et il est probable qu’elle y donnera suite. Elle va d’abord procéder à une évaluation sur le terrain, à la frontière entre la Grèce et la Turquie, frontière extérieure de l’espace Schengen, puis soumettre cette évaluation au Conseil européen. Evaluation qui doit être approuvée à la majorité qualifiée. Puis, la Grèce aura trois mois pour remédier au problème, ce qui semble illusoire vu les flux de migrants qui traversent encore la mer Egée malgré l’hiver (plus de 44 000 depuis le 1er janvier). Si sa frontière est encore jugée insuffisamment surveillée, alors la Commission proposera que des pays membres – Allemagne, Autriche, etc. – soient autorisés à prolonger de deux ans le contrôle à leurs frontières intérieures…
« La solidarité des autres pays est également essentielle »
L’étau se resserre encore plus sur la Grèce, qui fait pourtant face à une véritable crise humanitaire. De plus, sa frontière avec la Macédoine risque progressivement de se fermer. Dans un courrier en date du lundi 25 janvier, adressé au premier ministre de la Slovénie Miro Cerar, et dont Le Monde a eu connaissance, le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker explique qu’il n’est pas possible de déployer des personnels de Frontex, l’agence européenne de garde-côtes et garde-frontières, à la frontière gréco-macédonienne, côté Macédoine, car celle-ci n’est pas dans l’Union européenne.
Néanmoins, « d’autres moyens d’assistance alternatifs à Frontex sont actuellement en cours de préparation pour assister la Macédoine, pour renforcer son management des frontières et ses capacités d’accueil pour les réfugiés », dit la lettre. Une mission conjointe de la Commission et de Frontex est allée sur place, du 20 au 22 janvier, précisément pour évaluer les besoins des autorités macédoniennes, notamment concernant la surveillance de ses frontières. « Il pourrait s’agir d’accorder une aide financière, en matériel et aussi d’aider à la signature d’accords bilatéraux de “prêt” de personnels de police et de gendarmerie, de pays européens à la Macédoine », explique une source européenne.
Pas question cependant, assure M. Juncker dans son courrier, d’isoler la Grèce de l’espace de libre circulation Schengen, comme le réclament les gouvernements hongrois et slovènes : « La Grèce subit une pression immense […] La Commission a engagé des efforts considérables pour assister le pays [personnel de Frontex supplémentaire, aide financière, etc.]. La solidarité des autres pays, avec de l’expertise et l’accélération de la relocalisation des réfugiés, est également essentielle. C’est la seule manière de retourner à une situation où les frontières intérieures de Schengen sont à nouveau ouvertes, la Grèce participant pleinement au système européen commun d’asile. »
« Juncker s’est toujours battu pour la Grèce et il continuera à le faire », ajoute une source diplomatique européenne. La prolongation à 2 ans des contrôles aux frontières intérieures ? Elle vise à préserver ce qui peut l’être de Schengen, pour, dans deux ans, pouvoir y réintégrer la Grèce, explique-t-on à Bruxelles.
Limiter au maximum les flux de migrants
Le président de la Commission est un de ceux qui, avec les Français, ont permis à Athènes d’échapper à une éviction de la zone euro, l’été dernier. A l’automne, la Commission a su convaincre la Grèce d’accepter une aide supplémentaire de Frontex que cette dernière hésitait à réclamer, pour des questions de souveraineté. Le but, avec cette future assistance à la Macédoine, est quand même de limiter au maximum les flux de migrants sur la « route des Balkans », celle qu’ils privilégient, depuis le milieu de l’année 2015, pour rejoindre le nord de l’Europe, à commencer par l’Allemagne. En fermant au maximum la frontière gréco-macédonienne, en ne laissant plus que quelques points de passage, exclusivement pour les réfugiés, Bruxelles, et aussi Berlin, espère envoyer un signal très clair à tous les migrants économiques, qui passent désormais par la Turquie pour joindre la Grèce, puis le reste de l’Europe. Un message de nature à les décourager de prendre la mer. La frontière macédonienne étant plus facile à contrôler que les centaines d’îles grecques, « il faut ériger une deuxième ligne de défense », glisse un diplomate bruxellois au Monde.
Cette stratégie de fermeture va, au moins pour un temps, pénaliser la Grèce, en augmentant encore le nombre de réfugiés coincés sur son territoire. Elle est particulièrement redoutée par Athènes, qui se plaint déjà du manque de solidarité des autres pays européens, alors qu’elle est confrontée depuis des mois à une urgence humanitaire absolue. A Idomeni, côté grec, à la frontière avec la Macédoine, quelque 2 500 migrants sont actuellement coincés en attendant de pouvoir franchir la frontière et de continuer leur voyage vers le Nord. Plus d’un million de migrants, réfugiés ou migrants économiques, ont emprunté cette route, passant par la Turquie, puis la Grèce, en 2015. Depuis le début de l’année, 43 921 d’entre eux ont encore accosté dans les îles de la mer Egée, malgré le mauvais temps et le froid, selon le Haut-Commissariat des Nations unies. « Le rythme des arrivées en ce mois de janvier, en plein hiver, est bien plus élevé qu’en janvier de l’année dernière. Il faut absolument que les flux baissent, nos pays ne peuvent pas accepter cette année autant de réfugiés qu’en 2015 », argue un diplomate bruxellois.