Le Courrier d’Algérie : on constate à chaque fois un retard dans la distribution du couffin du Ramadan, malgré les efforts consentis par le ministère de la Solidarité nationale et les engagements du ministère de l’Intérieur. Cette année encore, certaines familles démunies n’ont reçu qu’à la troisième semaine du Ramadan leur couffin, alors qu’il y a d’autres qui ne l’ont même pas obtenu. Pourquoi cette situation à votre avis ?
Mme Benhabylès : Avant de parler de retard, il faudrait distinguer entre les actions du Croissant-Rouge algérien et celles du ministère de la solidarité. Pour le Croissant-Rouge nous avons commencé le travail dans ce sens il y a longtemps. Nous avons sensibilisé au début les donateurs, car nous refusons de compter seulement sur l’argent de l’Etat et nous refusons d’être à sa charge. Nous avons donc vulgarisé les entreprises sur la culture de solidarité, ensuite nous avons établi les listes des personnes nécessiteuses selon les méthodes ancestrales c’est-à-dire nous avons interpellé les imams dans ce sens surtout dans les régions isolées. Nous tenons à ce que la donation soit transparente. Je précise que le Croissant-Rouge n’a pas causé de retard dans la distribution des aides aux familles démunies. Nous avons même démarré deux semaines avant le Ramadan, et nous continuons toujours de le faire selon les besoins et les appels des gens. Par exemple dans la wilaya de Bechar, l’aide a dépassé les deux milliards de centimes. Il faudrait dès lors enlever l’idée que le CRA puise dans l’argent du contribuable. Nous sommes des auxiliaires des pouvoirs publics et nous sommes là pour compléter les efforts de l’Etat dans la culture de solidarité.
Vous avez déclaré à maintes reprises que la solidarité ne doit pas prendre l’allure de la charité en se disant révoltée par l’usage du terme «couffin du Ramadhan» qui vous rappelle «l’indigénat » et le «colonialisme». Pourquoi ?
Je dois préciser seulement que c’est à l’Etat de prendre en charge la solidarité qui, en aucun cas, ne doit se transformer en assistanat. Le terme «couffin», est «dégradant » et rappelle «l’indigénat» et «le colonialisme » et la solidarité ne peut se décréter.C’est au quotidien que les éléments du CRA font preuve de solidarité, car, les personnes dans le besoin ne doivent pas «mourir de faim avant et après le Ramadhan». Plutôt que le fameux couffin, nous avons préconisé la mise en place d’aides financières pour préserver la dignité humaine. Le CRA n’a pas de budget alloué à l’opération mais distribue l’argent qui lui est donné par les donateurs. Idem pour les fameux restaurants dits de la «Rahma».Je suis également contre les scènes de familles entières attendant qu’on leur serve un repas dans un récipient, quelques minutes avant l’adhan. Une «humiliation» qui ne devrait plus être tolérée au regard des moyens colossaux que l’Etat mobilise chaque année pour les opérations de solidarité. Le meilleur moyen de venir en aide aux personnes dans le besoin, est de revenir aux méthodes ancestrales en comptant sur les relais locaux et non pas en faisant confiance aux listes établies par les communes. Les listes sont, truffées d’opportunistes car, les «vrais» nécessiteux ne tendent pas la main et ne font pas la queue devant les communes pour attendre le fameux couffin.
Pourquoi à votre avis le ministère de la Solidarité a opté en fin de compte pour le couffin ?
Je pense qu’il manque un fichier national des familles nécessiteuses. Ce qui pouvait être un obstacle pour réussir l’opération des chèques qui est censée toucher les vrais démunis. Je pense que la réaction du ministère qui a opté pour le couffin au lieu des chèques ou des mandats est très raisonnable.
Je comprends donc la réticence du ministère. La meilleure façon d’éviter cette polémique c’est de réfléchir dès à présent à élaborer un fichier national des familles démunies et ce, pour le respect de leur dignité. Je souhaite que ces actions de solidarité ne soient pas conjoncturelles. On est solidaire tous les jours et c’est la nouvelle stratégie du Croissant-Rouge. On ne veut pas laisser les gens mourir de faim avant et après Ramadan.
Entretien réalisé par I. B.
