Cinquante ans après les accords de Madrid qui ont ouvert la voie à l’occupation du Sahara occidental, la capitale espagnole a de nouveau été secouée par une mobilisation massive réclamant justice pour le peuple sahraoui.
Derrière les slogans, une même conviction : l’Espagne porte toujours une responsabilité juridique et morale dans ce conflit, et son soutien croissant au « plan marocain d’autonomie » constitue un reniement de ses engagements internationaux. La controverse est d’autant plus vive que certains milieux espagnols et marocains s’efforcent aujourd’hui de présenter la récente Résolution 2797 du Conseil de sécurité comme un tournant prétendument favorable à Rabat. Dans cette lecture biaisée, le texte marquerait un « déplacement du cadre juridique » et désavouerait les principes historiques de décolonisation. Ces interprétations, relayées notamment par quelques chroniqueurs ou par des courants pro-marocains, s’emploient à soutenir que le Sahara ne relèverait plus du processus onusien de décolonisation et que l’Espagne n’aurait plus aucune responsabilité. Une vision que de nombreux experts jugent infondée. L’ex-responsable du Polisario devenu chef du Mouvement Sahraoui pour la Paix (MSP), Hach Ahmed Bericalla, est allé jusqu’à comparer le traitement médiatique d’El Independiente — journal qui diffuse régulièrement cette ligne — à celui du quotidien officiel cubain Gramma. Au cœur de cette campagne, la tentative de légitimer le récit marocain et de décrédibiliser la revendication sahraouie, en présentant le Polisario comme un mouvement monolithique créé en 1973 par les régimes libyen et algérien pour contrer les ambitions marocaines. Une narration qui ignore le cadre légal établi depuis 1966 : le Sahara occidental demeure un territoire non autonome, en attente de décolonisation, et son peuple doit pouvoir exercer son droit à l’autodétermination. Dans ce contexte de discours concurrents, les interventions des responsables sahraouis à Madrid ont donné un écho particulier à cette date symbolique. Le conseiller du président de la République sahraouie chargé des ressources naturelles et des affaires juridiques, Oubi Bouchraya Bachir, a rappelé que « cinquante ans après les funestes accords de Madrid, l’Espagne porte une responsabilité historique non seulement envers le peuple sahraoui mais envers l’ensemble de la région nord-africaine ». Selon lui, le renoncement de 1975 a précipité un conflit qui continue de fracturer le Maghreb, d’empoisonner les relations bilatérales et de freiner toute dynamique d’intégration régionale. Il a souligné que la blessure demeure ouverte : « La plus grande condamnation de l’Espagne est d’avoir tourné le dos à sa promesse faite à l’ONU d’organiser le référendum d’autodétermination durant le premier semestre 1975. » En droit, précise-t-il, la situation reste inchangée : « l’Espagne demeure la puissance administrante du territoire », comme l’a confirmé la Cour nationale espagnole dans une décision rendue en juillet 2014. Pour lui, le soutien actuel de Madrid au plan marocain, tout comme les pressions exercées au sein de l’Union européenne pour inclure le Sahara dans les accords commerciaux, constituent une violation flagrante du droit européen et des engagements onusiens. Le lendemain, des milliers de Sahraouis, d’Espagnols et de sympathisants étrangers ont défilé dans les rues de Madrid, brandissant des drapeaux de la RASD et scandant des appels à l’indépendance. La manifestation, organisée sous le slogan « 50 ans de résistance / 50 ans d’occupation », a rassemblé une foule déterminée à rappeler que la lutte n’a jamais cessé. Le représentant du Front Polisario en Espagne, Abdallah Arabi, a affirmé que le peuple sahraoui est « pleinement déterminé à poursuivre sa lutte jusqu’à l’indépendance », dénonçant une nouvelle fois les conséquences des accords de Madrid : occupation, violations des droits humains et absence d’application du droit international. Plusieurs responsables politiques espagnols venus exprimer leur solidarité ont également dénoncé la position du gouvernement. Julio Rodríguez, secrétaire à la Paix et à la Sécurité du parti Podemos, a insisté sur le droit du peuple sahraoui « à son indépendance et à sa souveraineté ». Le porte-parole de Podemos à Madrid, Victor Valdés Camacho, a rappelé que l’autodétermination n’est pas négociable et que le « plan marocain d’autonomie » constitue un déni du droit de ce peuple à exister pleinement. À la veille de la manifestation, des militants ont installé un campement devant le ministère des Affaires étrangères pour sensibiliser l’opinion publique espagnole. Des banderoles dénonçaient « l’accord funeste entre le Maroc et l’Espagne » et rappelaient que les Sahraouis sont privés depuis cinquante ans de leur referendum, pourtant reconnu par l’ONU depuis 1966.Dans une interview accordée à la BBC, le conseiller spécial de la présidence sahraouie, Abi Bouchraya Bachir, a réaffirmé que « le référendum reste le seul choix conforme aux résolutions des Nations unies ». Répondant aux déclarations du représentant marocain à l’ONU, qui prétendait que ce référendum serait « enterré », il a renvoyé Rabat à ses propres contradictions : « Ce qui est enterré, depuis longtemps, c’est la thèse marocaine. » Dans les cortèges, la communauté sahraouie installée en Espagne a scandé une dernière évidence que cinquante ans n’ont pas effacée : les accords de Madrid demeurent un « crime historique », un acte qui a transféré un territoire sans consulter son peuple et qui continue de lui refuser son droit inaliénable à l’autodétermination. Pour les manifestants, l’Espagne doit cesser de se réfugier derrière les ambiguïtés diplomatiques et assumer, enfin, son rôle dans la résolution d’un conflit qui n’a que trop duré. La commémoration s’est achevée sur une certitude : malgré les décennies, malgré les pressions et les récits concurrents, la question sahraouie reste intacte. Et elle continuera de hanter la scène politique espagnole tant que la promesse de 1966 — un référendum libre, transparent et démocratique — n’aura pas été tenue. Chaque année qui passe renforce le sentiment que le temps n’a pas effacé la responsabilité de Madrid. Il l’a rendue plus visible encore.
M. Seghilani











































