Dans un territoire exsangue, épuisé par des années de siège et de destruction, l’enfance n’est plus une période d’insouciance. À Ghaza, elle est devenue un combat quotidien pour la survie. Les enfants n’y grandissent pas, ils résistent — au milieu des ruines, sous le grondement des chars, dans les hôpitaux sans médicaments et les écoles transformées en abris.
Dans un couloir du complexe médical Nasser, à Khan Younès, Ahmed Mansour veille sur sa fillette qui se tord de douleur. Il lui éponge le front d’un linge humide, guettant en vain une infirmière ou un médecin. Tous les lits sont occupés, les stocks de médicaments épuisés, et le silence lourd des blessés se mêle aux gémissements étouffés. « Je n’ai pas trouvé de lit pour ma fille, raconte-t-il d’une voix brisée. Nous avons dormi sur le sol. Pas de médicaments, pas d’antalgiques. Ce n’est pas un hôpital, c’est un autre champ de bataille. » À Ghaza, la douleur des enfants n’est pas un simple épisode tragique : elle est la toile de fond d’une existence entière. L’enfance n’y sourit plus ; elle gémit sous les chenilles des chars et les crocs de la faim et de la maladie. Depuis plus de deux ans, la machine de guerre de l’entité sioniste vise délibérément les enfants : tués, mutilés, affamés, privés d’école et de soins. Des écoles sont réduites en gravats, des hôpitaux transformés en cimetières d’espérance. Selon les chiffres des autorités sanitaires locales, plus de 64 000 enfants ont été tués ou blessés depuis le début de l’agression, tandis que 58 000 ont perdu l’un de leurs parents.
« 40 000 nourrissons ont besoin de lait infantile »
Les données de l’UNICEF décrivent un cauchemar collectif : un million d’enfants vivent dans des conditions “totalement inhumaines”, et 40 000 nourrissons ont besoin quotidiennement de lait infantile. Les rares cargaisons humanitaires qui franchissent le blocus ne couvrent que 10 % des besoins réels. Ibrahim Abou Saqr, père d’un enfant amputé lors d’un bombardement, témoigne « Mon fils a subi trois opérations, dont la pose d’un fixateur externe. Nous n’avons ni antibiotiques, ni antidouleurs. Sa plaie ne guérit pas, car il n’a pas de nourriture adéquate. La viande, les œufs, le lait sont devenus des rêves. » Dans l’est de Ghaza, un bâtiment d’école à moitié effondré abrite désormais un semblant de classe. Sous une tente déchirée, des dizaines d’enfants s’assoient sur des briques ou des morceaux de bois. Leur enseignant, Saïd Abou Halawa, tente de raviver une flamme d’espoir. « Ces enfants n’ont pas mis les pieds dans une école depuis trois ans. Nous leur apprenons l’arabe et les mathématiques, rien de plus. Nous faisons des bancs avec les décombres, et de la douleur, un désir de vie. » Depuis octobre 2023, le système éducatif du territoire est quasiment à l’arrêt. Des centaines d’écoles ont été détruites, d’autres servent de refuge aux déplacés. Le ministère de l’Éducation estime que près de 500 000 enfants ont été privés d’enseignement pour la deuxième année consécutive — un vide éducatif « impossible à combler ». Quelques programmes partiels, soutenus par l’UNICEF et des associations locales, permettent un retour à l’apprentissage dans certaines zones, mais cela ne concerne que 20 % des élèves, à raison de trois jours par semaine. Rafat Al-Majdalawi, directeur de l’Association de santé “Al-Awda”, résume la situation en une phrase glaçante « Nous vivons une tragédie qui dépasse les mots : les enfants de Ghaza sont au bord de l’extinction humaine. »
« 154 enfants morts de malnutrition »
Ses chiffres sont vertigineux : 154 enfants morts de malnutrition, 51 000 souffrant de maladies liées à la faim, 16 fausses couches par jour faute de soins, 450 fœtus morts in utero, 5 200 enfants blessés nécessitant une évacuation médicale urgente, et 67 % des équipements médicaux manquants dans les hôpitaux. « Les enfants vivent entre les décombres des hôpitaux et les coupures d’électricité, ajoute-t-il. Le silence du monde les tue plus lentement que les bombes. » Un médecin du ministère de la Santé confirme la gravité de la situation : plus de 70 000 cas d’hépatite virale ont été recensés, conséquence directe du manque d’eau potable et d’hygiène. « Nous n’avons ni carburant, ni générateurs, ni médicaments, poursuit-il. L’eau est contaminée. L’occupation autorise parfois l’entrée de neuf camions d’aide seulement, alors que nous en avons besoin de centaines. » Il précise encore que 41 % des patients dialysés sont morts faute de fonctionnement des machines, et que des milliers de blessés attendent toujours d’être évacués pour des soins vitaux à l’étranger. Dans un communiqué, le directeur régional de l’UNICEF, Édouard Beigbeder, a décrit la situation sans détour « Plus d’un million d’enfants vivent chaque jour les pires horreurs dans le lieu le plus dangereux du monde. L’ouverture des points de passage est une urgence vitale. » Il a ajouté que la trêve temporaire a offert à certains enfants « une brève chance de survie », mais que « les aides qui entrent à Ghaza ne couvrent même pas 20 % des besoins essentiels ». L’UNICEF tente de remettre 650 000 enfants sur les bancs d’école, mais la tâche s’apparente à un miracle au milieu des ruines. De ces ruines s’élève pourtant une clameur : « Bidna n‘ich » — Nous voulons vivre. Car à Ghaza, ce ne sont pas seulement les bombes qui tuent les enfants, mais l’indifférence. Un peuple entier d’enfants est suspendu au bord du néant, attendant que le monde se souvienne de leur existence avant que leurs voix ne soient effacées pour toujours.
M.Seghilani








































