Une paix sans justice n’est pas la paix — c’est la continuation du crime par d’autres moyens. Depuis le plan Trump, cette caricature de diplomatie qui a enterré la cause palestinienne sous les sourires complices des puissants, le mot « paix » n’est plus qu’un slogan cynique, brandi par ceux qui arment le bourreau et sermonnent la victime. Le monde parle de trêve, Israël parle de sécurité, mais à Ghaza, les bombes continuent de parler le langage de la mort.
Lundi encore, deux Palestiniens ont été abattus à l’est de la ville, exécutés en plein cessez-le-feu. Le sang n’a pas eu le temps de sécher que déjà les sirènes des hôpitaux hurlaient dans la nuit : quarante-sept civils tués en vingt-quatre heures, des quartiers entiers pulvérisés. Le ministère de la Santé dénombre désormais 68 159 martyrs et 170 203 blessés depuis le 7 octobre 2023 — chiffres qui dépassent les statistiques pour devenir une nécrologie collective. Les hôpitaux, transformés en morgues, peinent à reconnaître les corps mutilés que l’occupant restitue par lots. À Al-Chifaa, Al-Awda, Al-Ma’madani, Al-Aqsa, Nasser, les draps blancs s’empilent, les noms s’effacent. Les frappes ne distinguent plus les enfants des journalistes, les abris des écoles, la trêve de la guerre. À Nuseirat, six enfants ont été tués dans une école. À Zawaida, un journaliste a été arraché aux décombres d’un immeuble qui abritait des correspondants. Ce ne sont pas des « bavures », mais des massacres planifiés. Des attaques méthodiques, pensées, assumées — autant d’actes d’un génocide qui se déroule sous le regard saturé mais impassible du monde. Les ONG locales parlent de « massacres délibérés » ; les chancelleries occidentales parlent de « proportionnalité ». Entre ces deux langages, il y a un gouffre moral dans lequel s’enfonce notre civilisation. Deux ans de guerre à Ghaza ont révélé l’architecture froide de l’impunité : un système international qui normalise la barbarie lorsqu’elle est signée par un allié, qui condamne mollement entre deux ventes d’armes, qui se réfugie dans le silence quand le crime devient trop visible. La neutralité est devenue la forme la plus perverse de complicité. On nous répète que le cessez-le-feu est fragile, que la paix est en marche. Mais quelle paix peut naître sur des ruines encore fumantes, sur des charniers d’enfants, sur des hôpitaux privés d’électricité et de morphine ? Quelle paix peut émerger d’un territoire où chaque maison porte la trace d’un missile et chaque cœur celle d’un deuil ? Ghaza n’a pas besoin d’une trêve. Elle a besoin d’un jugement. Car la paix sans justice est une imposture — une parenthèse que le crime refermera à sa guise. Tant que la colonisation sera légitimée, tant que le vol de la terre et la négation du peuple palestinien seront tolérés, aucune signature au bas d’un traité ne pourra arrêter la guerre : elle changera simplement de forme. Chaque martyr, chaque fragment de corps exhumé des décombres, chaque cri d’enfant dans un hôpital sans anesthésie raconte la même vérité : on ne tue pas seulement des vies à Ghaza, on assassine la conscience du monde. L’histoire retiendra les noms des complices — ceux qui ont parlé de « sécurité » pendant qu’on pulvérisait des écoles, ceux qui ont prêché la modération pendant qu’on affamait un peuple. Car le véritable cessez-le-feu ne viendra pas des chancelleries, mais des peuples qui refusent d’oublier. L’indignation ne suffit plus. Il faut que la justice s’impose, que les tribunaux remplacent les communiqués, que la mémoire supplante l’amnésie organisée. Car à Ghaza, c’est l’humanité tout entière qui est mise à l’épreuve — et son silence pourrait bien être sa condamnation.
Des corps rendus sans noms ni traces
À Khan Younès, une scène poignante a bouleversé les témoins dans la salle de tri des corps de l’hôpital Nasser. Neda Zoughra, agenouillée près de sa mère et de son frère, tentait d’identifier le corps de son père disparu depuis deux ans. L’homme, retrouvé parmi les 150 corps restitués par l’occupant via le Comité international de la Croix-Rouge, ne portait aucune étiquette ni indication. Les médecins légistes décrivent des cadavres aux yeux bandés, aux mains liées, certains entièrement nus, présentant des signes évidents de torture : cordes autour du cou, doigts amputés, membres fracturés. D’autres ont la bouche remplie de sable ou le crâne perforé. Selon le directeur du service médico-légal, le docteur Ahmad Dhahir, « l’occupant a renvoyé ces corps sans aucun document, dans des sacs plastiques, parfois congelés après plusieurs jours ». Sur les 150 corps remis, seuls 25 ont pu être identifiés, les autres restant anonymes, faute de moyens d’analyse ADN disponibles à cause du blocus. Dans une salle attenante, des dizaines de familles visionnent sur écran les photos des dépouilles, espérant reconnaître un proche. Certains n’y trouvent que des fragments, des visages méconnaissables, ou un vêtement familier. Selon le ministère de la Santé, près de 9 500 personnes demeurent portées disparues depuis le début de la guerre : certaines ensevelies sous les décombres, d’autres capturées ou exécutées sans que leur sort ne soit connu.
80 violations du cessez-le-feu documentées
Le Bureau d’information du gouvernement de Ghaza a recensé 80 violations majeures commises par l’armée d’occupation depuis l’annonce de la fin de la guerre. Ces exactions vont des tirs directs sur des civils aux bombardements délibérés, en passant par l’utilisation de chars et de drones armés de type quadcopter tirant à vue sur les habitants. Ces attaques ont fait, selon le même rapport, 97 martyrs et plus de 230 blessés depuis la signature de la trêve. Le Bureau accuse l’occupant de « chercher délibérément à faire échouer les efforts de stabilisation et à poursuivre sa politique d’extermination ». Les forces israéliennes auraient également utilisé des grues équipées de capteurs et de systèmes de visée électronique pour repérer et abattre les civils s’approchant des zones frontalières. Cette stratégie s’inscrit dans un schéma plus large de contrôle du territoire et de punition collective, selon plusieurs organisations de défense des droits humains.
L’entité sioniste frappée à son tour
Ironie tragique du sort, l’armée sioniste a reconnu la mort d’un officier et d’un soldat, ainsi que trois blessés graves, lors d’affrontements dans le sud de Ghaza.
Ces pertes, confirmées dimanche par la presse israélienne, auraient été provoquées par des tirs de snipers et l’explosion d’un engin artisanal à Rafah. En représailles, l’armée a lancé près de vingt raids, causant de nouvelles victimes palestiniennes dans le nord et le sud de l’enclave. Malgré ces pertes, l’entité sioniste poursuit ses opérations. Les chars encerclent toujours certaines zones de Rafah, tandis que des avions de combat frappent des « cibles présumées » dans le centre du territoire. La décision temporaire de fermer les points de passage, avant un rétropédalage sous pression américaine, souligne la fragilité du cessez-le-feu négocié au Caire.
Le désespoir et la colère d’un peuple
À travers les ruines, le désespoir se mêle à la rage. « Deux ans sans savoir si mon père était vivant ou enterré sous les décombres… et ils nous le rendent ainsi », a murmuré Neda Zoughra, en serrant la main glacée du corps qu’elle venait de reconnaître. Autour d’elle, les cris des mères, les prières étouffées et l’odeur des cadavres racontent la lente agonie d’un peuple. Le docteur Dhahir a averti que de nombreuses familles ne pourront jamais identifier leurs proches : « Le blocus empêche tout travail médico-légal sérieux.
Ces corps sont les témoins d’une guerre d’effacement ». La trêve, pourtant signée sous la médiation de l’Égypte, des États-Unis, de la Turquie et du Qatar, semble déjà vidée de son sens. Les violations répétées, les frappes ciblant écoles et hôpitaux, et la restitution macabre des corps torturés laissent présager un retour imminent à la guerre ouverte. Ghaza, épuisée mais debout, continue de compter ses morts.
L’ombre du génocide s’étend encore sur ses ruelles détruites, où chaque nom ajouté à la liste des martyrs est une preuve supplémentaire que la paix, dans cette terre assiégée, demeure le plus inaccessible des rêves.
M. Seghilani