Dans une tribune publiée par le quotidien britannique The Guardian, Anthony Bellanger, secrétaire général de la Fédération internationale des journalistes (FIJ), a livré un constat glaçant : Ghaza est devenue « la pire tombe de l’histoire contemporaine pour la presse ».
Son texte, intitulé « Ghaza est devenue une fosse commune pour la presse… tuer des journalistes, c’est tuer la vérité », sonne comme un acte d’accusation contre l’impunité israélienne. Bellanger y rappelle que le 10 août dernier, l’occupant sionistel a tué le jeune reporter d’Al Jazeera, Anas al-Sharif, devenu symbole d’une génération entière de journalistes palestiniens décimée. « L’Histoire retiendra le nom d’Anas al-Sharif, tout comme elle retiendra celui des 222 autres journalistes palestiniens tués par Israël ces deux dernières années », écrit-il. Pour le responsable syndical belgo-français, la guerre contre Ghaza représente une hécatombe sans précédent dans la profession. « Depuis sa fondation en 1926, la FIJ n’a jamais enregistré un tel bilan, ni pendant la Seconde Guerre mondiale, ni au Vietnam, en Corée, en Syrie, en Afghanistan ou en Irak », insiste-t-il. « Ghaza est devenue le lieu le plus dangereux au monde pour exercer le métier de journaliste. » En deux ans, la FIJ a recensé 222 journalistes palestiniens tués. La plupart travaillaient sans aucune protection, exposés avec leurs familles dans un territoire bouclé. Israël interdit aux journalistes étrangers d’entrer à Ghaza, ce qui confère aux reporters palestiniens le rôle exclusif de témoins de la guerre. Un rôle vital, mais qui en fait aussi des cibles. Bellanger souligne que cette répression systématique n’est pas un effet collatéral, mais une stratégie délibérée : « C’est une stratégie claire : tuer les témoins, fermer Ghaza et contrôler le récit. » Selon lui, alors que Benyamin Netanyahou promet la réoccupation du territoire, contrôler la narration est aussi important que contrôler le terrain. « L’occupation signifie aussi effacer les ruines, les morts, les survivants et ceux qui racontent leur histoire », ajoute-t-il. Il décrit un territoire transformé en piège : des centaines de milliers d’habitants contraints de fuir vers le sud, mais sans refuge réel, coincés entre bombes et mer. « Ce siège total est aussi la réalité des journalistes palestiniens, condamnés à exercer dans un ghetto isolé où la survie devient chaque jour plus improbable », déplore-t-il. Le secrétaire général de la FIJ estime que la récente vague de reconnaissances symboliques de l’État de Palestine à l’ONU arrive « trop tard ». « Elle ne protège pas les vivants, n’honore pas les morts. La diplomatie court derrière l’Histoire, mais seulement après l’irréparable », dénonce-t-il. Et de poser la question qui foudroie son texte : « Qui protège ces témoins ? Ni une ONU paralysée, ni les grandes puissances complices, armant Israël et se taisant. » Face à ce vide, la FIJ dit soutenir directement les journalistes et leurs familles par le biais de son Fonds international de sécurité. Bellanger cite les noms de reporters comme Sami Abu Salem ou Ghada al-Khodr, pour rappeler que derrière les chiffres, il y a des vies brisées. L’organisation plaide depuis des années pour une convention internationale obligeant les États à protéger les journalistes et sanctionner leurs assassins. Mais tant que cet instrument n’existe pas, prévient-il, « l’impunité règnera et protégera les dirigeants israéliens responsables de ces crimes ». Le texte s’achève sur un rappel fondamental, souvent répété par la FIJ aux reporters munis de cartes de presse internationales : « Aucune histoire ne vaut une vie humaine. » Pour Bellanger, ce n’est pas un slogan mais une règle de survie. « La mission des journalistes n’est pas de mourir en martyrs, mais de travailler en sécurité. Leur protection est une responsabilité collective. Chaque casque, chaque gilet pare-balles, chaque formation à la sécurité en zone hostile compte », martèle-t-il. Par cette tribune, Bellanger ne se contente pas d’alerter sur une tragédie : il sonne le tocsin contre une banalisation mondiale du meurtre des journalistes comme « arme de guerre ». « Accepter que les journalistes soient tués à Ghaza, c’est ouvrir la voie à tous les régimes qui verront dans leur assassinat un outil de guerre légitime », avertit-il. L’avertissement est clair : si le monde se tait, ce n’est pas seulement la presse palestinienne qu’on enterre à Ghaza, mais l’idée même de vérité.
M. Seghilani