Elle a été traduite en plus de 30 langues, a sa statue dans plusieurs pays et continue de questionner un monde dysfonctionnel: Mafalda, la fillette héroïne de bande dessinée argentine, fêtait ce week-end ses 60 ans, avec sa tendre irrévérence toujours pertinente et des projets plein la frange.
« Arrêtez le monde, je veux descendre ! », « Le gouvernement a plafonné les prix des denrées de première nécessité. Il a mis le bon sens à combien ? » Les réparties, mi-ingénues mi-rebelles, de la petite brunette de 5-6 ans au noeud dans les cheveux, sont entrées pour certaines dans le langage courant. Ses questions, tour à tour candides ou incisives, ses critiques, de la société, de la politique, des inégalités, des guerres — et des soupes de maman ! — parlèrent dans les années 60-70 aux doutes et aspirations de la classe moyenne argentine à plus de progrès et de justice. Et bientôt à travers le monde et les générations. « Le discours de Mafalda est plus que jamais d’actualité. Son monde est brisé, blessé. Elle nous parle, avec plus de 40 ans d’avance, de ce qui arrive aujourd’hui à la planète », déclare la dessinatrice Maïtena, célèbre en Argentine et à l’international pour sa série « Les déjantées », lors d’un week-end d’hommages à Mafalda à Buenos Aires, centrés autour d’une place à son nom.
Elle aurait disparu sous la dictature
Mafalda est « née », publiée la première fois en septembre 1964 sous la plume de Joaquim Salvador Lavado dit « Quino ». Il avait initialement conçu le personnage pour une publicité d’électroménager, qui ne vit jamais le jour. Il la rangea dans un tiroir, jusqu’au jour où un hebdomadaire, Primera Plana, lui demanda s’il n’aurait pas quelque chose pour eux… L’impact durable de Mafalda — une sorte de cousine, en un peu plus « politique », de Charlie Brown, dont Quino dit s’être inspiré — est d’autant plus spectaculaire qu’il ne la dessina que quelques années, de 1964 à 1973, avant de passer à autre chose. Il vécut par la suite en exil en Italie, pendant la sanglante dictature argentine (1976-1983). Méditant à la fin des années 80 sur ce que serait devenue Mafalda, Quino estimait d’ailleurs qu' »elle n’aurait jamais atteint l’âge adulte. Elle aurait été parmi les 30.000 morts et disparus » sous la dictature. « Cette petite fille qui prônait la paix, rebelle, contestataire, est un peu un symbole de ma génération », explique Pablo Irrgang, sculpteur « officiel » de Mafalda, qui inaugurait ce week-end une statue de la fillette à Santiago du Chili. Une dizaine existent déjà à Buenos Aires, Lima, Barcelone, Caracas notamment. D’autres sont prévues à Mexico, Sao Paulo ou Madrid. Car à 60 ans et bien qu’orpheline depuis quatre ans de son « papa » Quino, décédé en 2020 à 88 ans, Mafalda n’a pas fini de voyager et de se raconter, sous diverses formes.
En statues, en série, en immersif
Juan Jose Campanella, réalisateur argentin oscarisé en 2009 pour « Dans ses yeux », prépare une série d’animation pour Netflix, des épisodes de 20-30 minutes avec pour défi de transposer en « dynamique » des réparties de la brunette habituellement contenues en 3-4 cases. Et dans un environnement du monde d’aujourd’hui. Un autre projet en cours est une « Mafalda immersive », où l’on pourra entrer dans l’univers de Mafalda: son appartement, ses parents, ses amis, ses soupes, à l’aide de réalité augmentée et d’hologrammes, notamment. L’exposition multisensorielle et itinérante doit être lancée début 2026 à Buenos Aires, avant de parcourir le monde, indique à l’AFP Damian Kirzner, dirigeant du producteur New Sock. Le rêve de Pablo Irrgang, qui dit en avoir parlé plusieurs fois avec Quino, est de faire venir (une statue de) Mafalda à l’ONU. « Dans ses aventures, elle disait qu’elle voudrait être interprète aux Nations unies, pour pouvoir modifier les discours des orateurs, afin de faire avancer la paix », raconte-t-il. En 2014, Quino, décoré à Paris de la Légion d’honneur — peu après son personnage lui-même –, expliquait qu’aujourd’hui comme hier, Mafalda, si elle parlait encore, combattrait « avant tout la stupidité humaine ».