Les « Sages » du Conseil constitutionnel ont censuré très largement la loi immigration, dont de nombreuses mesures de durcissement adoptées en décembre sous la pression de la droite. Un développement majeur dans ce feuilleton qui a fait tanguer la majorité.
La droite et l’extrême droite sont furieuses. Durcissement de l’accès aux prestations sociales pour les étrangers, quotas migratoires annuels, resserrement des critères du regroupement familial, « caution retour » étudiante… La plupart des mesures irritantes pour le camp présidentiel n’ont pas passé le filtre des neuf juges saisis sur ce texte décrié, voté fin 2023 avec l’appui du Rassemblement national. « Le Conseil constitutionnel valide l’intégralité du texte du Gouvernement », s’est félicité le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin sur X, ajoutant que l’exécutif « prend acte (…) de la censure de nombreux articles ajoutés au Parlement, pour non respect de la procédure parlementaire ». À l’inverse, le patron du RN Jordan Bardella a dénoncé « un coup de force des juges, avec le soutien du président de la République lui-même ». « La loi immigration est mort-née. La seule solution, c’est le référendum sur l’immigration », a-t-il insisté. Toujours à droite, le chef des Républicains (LR), le très droitier Eric Ciotti estime pour sa part qu' »une réforme constitutionnelle apparaît plus que jamais indispensable pour sauvegarder le destin de la France ! » A gauche, le chef de file de la France Insoumise (LFI), Manuel Bompard, juge que la loi toute entière doit désormais être retirée.
Cartes rebattues
La décision du Conseil constitutionnel, scrutée par les associations de défense des sans-papiers comme par toutes les forces politiques du pays, rebat assez largement les cartes, avant la promulgation du texte par Emmanuel Macron. En effet, 35 des 86 articles du projet de loi ont été totalement ou partiellement censurés, le Conseil estimant pour l’essentiel d’entre eux – 32, précisément – qu’ils n’avaient pas leur place dans le périmètre de ce texte de loi. Il s’agit de « cavaliers législatifs », qui pourraient toutefois réapparaître plus tard dans d’autres textes. Pour l’aile gauche macroniste, très réticente à certaines mesures jusqu’à susciter les états d’âme de plusieurs ministres – Aurélien Rousseau avait démissionné de la Santé -, elle sera accueillie avec un certain soulagement: Emmanuel Macron lui-même avait saisi les « Sages », sans cacher son scepticisme face à plusieurs dispositifs pourtant votés par sa majorité.
Quotas migratoires inconstitutionnels
Très controversée, la mesure allongeant la durée de résidence exigée pour que des non-Européens en situation régulière puissent bénéficier de certaines prestations sociales (APL, allocations familiales…) a ainsi été totalement censurée. Idem pour le resserrement des critères du regroupement familial (avec une durée de résidence requise passant de 18 à 24 mois), l’instauration d’une « caution retour » pour les étudiants étrangers ou la fin de l’automaticité du droit du sol pour les enfants d’étrangers nés en France. L’instauration de quotas migratoires annuels déterminés par le Parlement après un débat obligatoire, elle, a été jugée inconstitutionnelle, ce qui fera jurisprudence. Le projet de loi conserve néanmoins la structure initialement souhaitée par le gouvernement, avec un large volet de simplification des procédures pour expulser les étrangers délinquants, l’un des objectifs du ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin. Sans surprise, l’article sur les régularisations de travailleurs sans-papiers dans les métiers en tension, qui avait cristallisé les débats de l’automne, est bien validé par les Sages. Les services de Beauvau ont d’ailleurs saisi le calendrier pour publier en parallèle jeudi les chiffres – records – de l’immigration pour 2023, avec une accélération des expulsions comme des régularisations de travailleurs sans-papiers. Des statistiques qui reflètent selon M. Darmanin les « priorités politiques » contenues dans ce projet de loi. Des dizaines de milliers de personnes avaient encore battu le pavé dimanche contre la loi. Et des opposants – associations, collectifs, juristes, syndicats – avaient prévu de dénoncer jeudi près du Conseil à Paris un texte « portant gravement atteinte aux droits des personnes exilées ». Le Conseil constitutionnel, déjà sous le feu des projecteurs lors de la réforme des retraites, n’est pas « une chambre d’appel des choix du Parlement », avait rappelé son président, l’ex-Premier ministre socialiste Laurent Fabius. Si trop de mesures étaient déclarées inconstitutionnelles, « il faudra tout simplement revenir à la proposition qui était la nôtre » de réviser la Constitution, avait prévenu mardi le président LR du Sénat Gérard Larcher. Mais cette réforme, prévoyant de pouvoir déroger aux règles de l’UE, est exclue par la majorité.