Priorité absolue de l’État, la relance économique a été la thématique principale du Forum du Courrier d’Algérie, organisé hier au siège du journal, en compagnie de l’expert en économie, Abdelmalek Serrai.
Sollicité pour nous faire part de son expertise, pour savoir oui ou non l’Algérie a su tirer profit de ses potentialités, connaître son approche sur les nouvelles résolutions employées par le Gouvernement, et la situation générale du marché et des investissements, l’invité du Forum a d’emblée dressé un bilan plus que satisfaisant. Pour lui, l’optimisme « s’explique par trois formes. La première est financière, et les résultats sont bons. Car nous avons une croissance économique qui est positive, nous avons un PIB qui augmente relativement bien, nous avons un taux de chômage qui n’augmente pas, et nous avons une très bonne notation internationale », estime l’expert économiste, qui met en avant, entre autres, l’écho favorable provenant de l’étranger, à cet égard. « Que ce soit au niveau de la Banque mondiale, le FMI, du club de Paris, du Club de Londres, de la Banque centrale européenne, ou même des institutions internationales, qui touchent l’économie et le commerce, à Paris, à Washington, Genève, Vienne et Addis-Abéba, même au niveau des Nations unies à New York. Les analyses internationales donnent une très bonne image favorable à l’Algérie, sur le plan économique », a révélé l’intervenant.
« Il y a un redémarrage, mais il n’est pas excellent »
Admettant qu’il y a bel et bien un redémarrage au niveau économique, Abdelmalek Serraï reconnaît néanmoins l’existence de beaucoup d’obstacles. « Il y a un redémarrage, mais il n’est pas excellent, il n’est pas fort. Cela, en raison du chômage, qui est évalué selon les analyses entre 11.7%, et presque 12.5%, selon mes sources. Mais je pense qu’il dépasse les 26%, Il y a beaucoup de jeunes au chômage, les diplômés notamment. Le taux de progression de croissance est encore faible. Il est arrivé au maximum à 3.6%. Et tant que ce taux de croissance n’est pas à 6%, le taux de chômage va perdurer. Un chiffre que nous devons atteindre d’ici 2025 et 2026 », explique encore l’invité du Forum. Et d’ajouter sur ce qui entrave le processus, un autre point négatif, à savoir l’inflation. « Dans la partie financière, le seul point négatif, c’est l’inflation, qui est très élevée malheureusement. Le Gouvernement parle de 9.6%, Quand il y a des flux financiers sur le marché qui augmentent, l’inflation augmente automatiquement. L’aide sociale, ça fait circuler de la monnaie, et fait ainsi augmenter l’inflation. L’autre source de l’inflation, c’est les fruits et légumes. Cette année, il y a eu moins de pluie, donc moins d’eau, la progression de l’agriculture, qui était de 12%, ne l’est plus. Cette année, elle est autour de 6%. Néanmoins, elle reste positive. L’État dépense beaucoup d’argent, et c’est dangereux. Il faut savoir gérer tout ça. Sinon, tout le reste, c’est du bon point ».
« Il y a une ouverture sérieuse sur le plan politique, mais la bureaucratie nous bloque »
Pour l’orateur, le chômage et l’inflation ne sont pas les seules contraintes, évoquant par ailleurs la bureaucratie. Et d’admettre que : « Grâce aux jeunes que nous allons intégrer dans les PME, grâce aux allègements bureaucratiques, l’industrie a commencé à repartir, plus de 95% des PME étaient malades, et n’étaient pas dans de bonnes conditions. Cette année il y a un déclin, ça commence à s’améliorer. Les chefs d’entreprises commencent à changer de méthode de travail, notamment dans les habitudes de management. En outre, Serrai a cité dans son expertise, que « sur le plan de la gestion, nous sommes toujours emprisonnés par une bureaucratie terrible, qui est accompagnée de corruption. Ça nous bloque pour développer ce que nous avons comme finances. Il ne faut pas que les personnes incompétentes gèrent les personnes compétentes. Nous sommes dans l’obligation de changer. Il y a une ouverture sérieuse sur le plan politique, mais il y a beaucoup de résistance, et cela fait mal à l’économie algérienne », dira-t-il d’un air désolé.
« Les dossiers de paiement des sociétés étrangères sont très lents »
S’attardant sur les dossiers à prendre absolument en compte, si l’Algérie veut réellement libérer son économie, Serrai a souligné que « l’autre aspect négatif est lié aux relations internationales ». « Si les étrangers ne viennent pas, les raisons ne sont pas toujours politiques. Elles sont d’abord juridiques, avec tous ces changements de lois. Je gère certains dossiers de multinationales, qui ont des problèmes de paiement en Algérie. Il y a mauvaise gouvernance, les gens ne décident pas. Il y a des dossiers de sociétés étrangères qui traînent depuis des années ». Pour lui, « Ça traîne beaucoup, ce n’est pas un problème financier, mais un problème d’avancement, de gestion des dossiers. Et le feed-back étranger est négatif. Moi je milite pour une consultation plus élargie, j’espère qu’il y aura des séminaires, où on laisse les gens parler, que la presse spécialisée parle, pour crever les abcès et aller de l’avant », recommande ainsi l’invité du Courrier d’Algérie.
« Les opérateurs vont pouvoir respirer début 2024 »
Néanmoins, Abdelmalek Serrai garde un avis fort rassurant, en dépit des « lobbies du commerce extérieurs qui sont très forts, qui font beaucoup de mauvaises propagandes anti-présidence de la République, parce qu’ils ont perdu de leurs intérêts. C’est pour ça qu’il y a des fluctuations dans le commerce extérieur ». Il estime que « compte tenu des réserves qui sont améliorées, on ira vers 90 milliards de dollars, début 2024, l’idée est donc de libérer un peu plus les opérations du commerce extérieur, et les opérateurs économiques vont respirer un peu, début 2024 ». Et d’expliquer : « Il y a un flux financier volontariste qui va être injecté dans l’économie algérienne, pour permettre aux gens de réaliser des projets rapidement. Nous sommes un pays qui doit se moderniser, notamment par l’importation des équipements. Il faut donner aux jeunes des équipements bon marché. 70% des jeunes ont moins de 35 ans. Une bonne partie est très bien formée, ce sont eux qui vont à l’avenir améliorer les services, il faudra donc ouvrir de nouveaux chapitres d’importation et injecter de nouvelles idées », suggère notre interlocuteur.
«Le taux global de la production et de l’export positif, mais…»
En termes d’investissement, Serrai déplore que « bien que le code de l’investissement ait été publié, le texte sur le foncier n’est pas encore terminé ». « C’est moi qui ai géré le nouveau code des investissements. J’ai eu l’honneur de réviser le texte sur ce code, où j’ai libéré au maximum, à l’exception du contrôle des matières premières et des secteurs stratégiques. Il faut laisser les gens travailler, ne pas recruter des incompétents. Le potentiel existe, il faut libérer la mise en œuvre des textes sur le foncier », soutient-il avec conviction. Reconnaissant que « le taux global de la production est positif, et qu’il y a une certaine décision politique depuis déjà trois ans, à travers des directions spécialisées au niveau des ministères, qui travaillent dans ce sens », Serraï appelle à « libérer le génie algérien », car pour lui, « le marché africain nous est favorable, mais il faut faire le nécessaire pour plus de produits ». Cela, en concédant que « les étrangers veulent travailler avec nous, mais quand ils voient que le code des investissements n’est pas encore applicable, ils hésitent. Au sujet du marché parallèle, Serrai estime qu’il « est dû au fait que les gens cachent de grandes sommes d’argent et ne font pas confiance aux banques ». « Le président de la République a parlé de 70 milliards de dollars, c’est énorme. Donc il y a un aspect de confiance. Il faut que le taux d’intérêt ne soit pas moins que le taux d’inflation, et ces gens qui ont beaucoup d’argent veulent éviter les impôts. Le mouvement des banques est très lent chez nous », a averti l’intervenant.
« 5 millions d’Algériens devraient s’installer au Sahara»
Par la suite, Serraï s’est attaqué au problème de ces milliers de jeunes diplômés qui sont soit au chômage, soit dans des postes inadéquats pour eux. Cela, en proposant notamment de les encourager à aller travailler et vivre au Sud du pays. « J’ai proposé qu’au moins 5 millions d’Algériens partent au Sahara, il faut encourager les jeunes ménages, en leur octroyant des crédits, des logements et du travail. Quitte à leur donner des primes de mariage. Le Sud, c’est la sécurité du pays. Il faut une grande population dans le Sud, un aménagement adéquat du territoire. Sans oublier qu’il a une catégorie de gens diplômés qui ne travaille pas. Je l’ai même transmis à monsieur le Président. Il faut régulariser la situation de ces milliers de gens, 8 000 diplômés, qui ne sont pas à leur niveau de recrutement », dira encore le spécialiste en économie.
« Les lobbies ont retardé le marché automobile »
Traitant du facteur humain, de la jeunesse notamment, Serraï a déclaré que l’année dernière déjà, il avait « sollicité le ministre de l’industrie pour connaître ce qui nous empêchait à une véritable relance de ce secteur ». Pour lui, le problème qui se pose, c’est que les comptes des anciens concessionnaires ne sont pas définitivement clos. Des affaires en justice qui traînent beaucoup. Il y a la saisie de leurs biens, certains ont payé, d’autres pas encore ou bien en fuite ». Selon le spécialiste, « c’est ce qui a fait traîner les choses ». « J’ai touché du monde à ce sujet, mais ce n’est toujours pas réglé. Tant que ces anciens dossiers ne sont pas assainis, on ne pouvait pas en libérer d’autres. Il y a aussi des lobbies très forts, nationaux et internationaux, comme ceux de Turquie, de France, et de Chine. Ce qui a fait perdurer les études de dossiers. La concession oui, mais à condition de l’accompagner par l’investissement et l’industrialisation », explique Abdelmalek Serraï.
« Pour un programme ambitieux et à long terme dans la gestion des ressources hydriques et la sécurité alimentaire »
Enfin, concernant les dossiers importants sur lesquels les autorités doivent se pencher, l’invité du Forum a mis en avant l’urgence de mieux réfléchir sur la stratégie à adopter concernant la sécurité des ressources en eau. Il estime à cet égard que : « déjà au Sud, qui est la priorité, nous avons l’une des plus grandes nappes au monde, il faut donc asseoir un programme scientifique pour préserver cette eau-là. J’espère qu’il y aura un séminaire national sur ça. La bataille de l’eau, c’est la bataille de l’avenir. Et pourquoi pas dégager un fond financier pour prévoir quels sont les techniciens dont on aura besoin, les équipements à importer. Collaborer avec les Américains, les Australiens, les Russes. Il y a un problème d’eau qui est très important. La bataille de la sécurité alimentaire, en irriguant plus de terres agricoles au Sud, mieux gérer l’attribution des terrains », a recommandé l’expert en économie.
Synthèse Hamid Si Ahmed
PRIVATISATION DES BANQUES PUBLIQUES ?
Serraï : « Je suis contre à 50% »
Appelé à s’exprimer sur l’option qui envisage de « privatiser » certaines banques étatiques, Abdelmalek Serraï a été catégorique à ce sujet. Pour lui, cette idée est loin d’être favorable au pays, compte tenu de la complexité de ce dossier. « Je suis contre à 50%. On ne peut pas privatiser les banques à 100%. Par contre, on peut ouvrir le capital à un certain pourcentage, pour pousser les banques à être mieux gérées. Vendre totalement les banques au secteur privé ? Je dis non », avoue Serraï. Et d’expliquer à cet égard « qu’il faut toujours une présence de l’état dans certains secteurs stratégiques. Et cette stratégie a besoin de banques publiques ». L’expert en économie explique que « si vous donnez tout le capital d’une banque comme le CPA ou la BEA, cela risque de mener vers la faillite ». « En tous les cas, je ne suis pas pour une ouverture totale des banques aux privés. Partielle, oui, pour voir s’il y a une certaine dynamique, sur dix ans ou quinze ans, on verra ce que ça pourra donner », affirme l’invité du Forum du Courrier d’Algérie. Et de conclure sur ce dossier sensible : « L’Algérie travaille avec 660 banques dans le monde, dans des conditions très difficiles. Si vous donnez tout ça aux opérateurs privés, comment contrôler tout ça ? Donc je suis pour préserver un peu le capital de l’état au sein des banques. Je sais comment des institutions comme le FMI pourraient nous appauvrir ».
H. S. A.