À l’approche de la rentrée sociale, les consommateurs algériens appréhendent la cherté de la vie. Une problématique autour de laquelle nous avons débattu, hier, au Forum du Courrier d’Algérie, avec le président de l’association El-Aman pour la protection des consommateurs, Hacène Menouar en l’occurrence.
Appelé à s’exprimer sur son bilan général de l’économie du pays, Hacène Menouar a reconnu que « les autorités avaient annoncé que l’économie algérienne se portait mieux », cependant, pour notre interlocuteur, « le contexte de consommation est en train de subir des difficultés ». Et d’expliquer qu’ « aujourd’hui, l’Algérien peine de plus en plus à subvenir à ses besoins…il y a beaucoup de souffrance et de non-dit », a-t-il avoué. « Au point où le consommateur algérien s’alimente mal. Et cela nous a interpellés. Vous devez savoir que le phénomène des légumes secs ne nous a pas laissé indifférents. Pourquoi ? Depuis des années, nous répétons que ceux qui ne peuvent pas consommer de la viande et les protéines animales, doivent au moins compenser avec les protéines végétales, à savoir les légumes, dont les légumes secs. Mais au bout de trois années, les prix de ces légumes ont triplé ». A cet égard, le responsable s’est interrogé sur la « manière dont on établit et calcule le prix de référence de ces produits ».
« Réviser le système des subventions »
Considérant que pratiquement tous les maux de la société convergent vers le faible pouvoir d’achat, Hassan Menouar estime que compte tenu du « coût de vie pour un ménage, c’est-à-dire d’une taille de 5 membres, les parents et trois enfants, pour vivre dignement, il faut plus de 110 000 dinars. Donc là, nous avons un déficit. D’autre part, il y a un problème d’équilibre dans les revenus. Nous avons des familles dont leur revenu est de 20 000 DA, et d’autres qui ont des revenus de 2 millions de DA, imaginez-vous ce déséquilibre. La cerise s’est déjà vendue à 1200 DA le kilo, et le vendeur liquidait jusqu’à quatre caisses par jour », a annoncé l’orateur, qui regrette vraiment que « certains opérateurs profitent de cette cherté des produits, sans vraiment se soucier des conséquences sur le consommateur algérien.
Autre fléau ayant pénalisé le pouvoir d’achat du citoyen, le problème des subventions étatiques mal géré, notamment au profit des acteurs économiques. « Les opérateurs économiques produisent peu, du moment qu’ils peuvent augmenter leur bénéfice, car les gens achètent. C’est ceux-là même qui profitent des subventions. Les dizaines de milliards de dollars qu’on a dépensés en 2022 en subventions (eau, électricité, carburant), on peut en récupérer une bonne partie, en octroyant cette subvention à qui le mérite réellement. On va pouvoir ainsi, sur les 19 milliards de dollars de dépenses, récupérer 5, voire 8 ou 10 milliards, qu’on va pouvoir injecter par la suite dans la qualité de vie. C’est comme ça qu’on pourra équilibrer les salaires », a ajouté le président d’El-Aman.
« On a toujours dénoncé le gaspillage »
Abordant un autre fléau, qui selon l’invité du Forum, a causé d’énormes dégâts sur le pouvoir d’achat et le mode de vie du citoyen en général, à savoir le gaspillage. À ce juste titre, Menouar a expliqué, entre autres, que : « ce gaspillage ne concerne pas uniquement celui du consommateur, il y a aussi le gaspillage institutionnel. D’après les calculs de la FAO, nous sommes depuis deux années à 30% de gaspillage dans le monde, dans le secteur alimentaire. Le gaspillage commence de la production jusqu’à la consommation, et concerne le simple agriculteur, le vendeur, et les politiques. Le fait qu’on ne régule pas le marché, l’absence d’une carte agricole, à savoir produire selon les besoins des populations, ne nous permettra pas de limiter ce gaspillage. Et je ne parlerais pas du gaspillage causé par le système de subvention. Si le carburant était vendu à sa vraie valeur, tout ce qui est énergie, eau, carburant, on aurait moins d’embouteillages, moins de pollution et moins de pertes pour notre économie nationale. Nous ne sommes pas dans l’application de solutions pérennes et durables … », regrette-t-il.
« Rationaliser notre consommation »
Toujours dans le contexte des exigences qui incombent aux autorités publiques, en vue d’apporter des solutions tangibles à la manière de consommer des Algériens, Hassan Menouar est catégorique, il faut absolument changer la mentalité alimentaire du consommateur algérien. « Nous avons viré vers une consommation de produits industriels, des produits agricoles à la base, et qui ont été transformés. Ce qui nous a poussés à dépenser plus. Aujourd’hui, on est emballé par les publicités mensongères, par les tendances de fast-food, ce qui se passe à l’étranger, un mode de consommation qui n’est pas rationnel, évidemment, et qui n’avantage pas le pouvoir d’achat. Car mal consommer nous amènera à plus dépenser, en médicaments entre autres. Donc rationaliser notre consommation, veut dire augmenter notre pouvoir d’achat », a précisé l’intervenant.
En termes d’outils permettant d’améliorer les modes de production, de distribution et commercialisation, Menouar a mis l’accent sur une grande priorité, à savoir celle d’assurer une certaine « traçabilité ». « C’est pour ça qu’on parle de la numérisation, qui est très importante. Que ce soit pour les produits alimentaires ou les produits agro-industriels. Comme ça, chaque année, on pourra faire ce qu’on appelle l’ajustement, en prenant en compte les déficits. La numérisation nous permettra d’avoir des prix plus ou moins égaux et identiques dans toutes les régions d’Algérie, et permettra d’avoir une stabilité des prix entre les saisons », a défendu Menouar.
« Créer une grande centrale de distribution »
Dans le cadre de la réglementation, le respect de la loi et du droit, notamment en ce qui concerne les subventions octroyées, et avec la nécessité d’imposer le plafonnage des prix, une meilleure politique fiscale et une lutte acharnée contre les barons du secteur informel, qu’on trouve dans tous les secteurs, le président de l’Association El AMAN a souligné qu’« en 2016, on avait prévu de construire 1000 marchés de proximité. On en a construit quelques-uns, on n’a pas les chiffres malheureusement, figurez-vous qu’ils sont fermés. Parce qu’ils ont été construits dans des zones qui ne conviennent pas. Et pourtant, grâce à ces marchés, l’État pourrait avoir au moins une emprise sur 80% du marché de la production et de la commercialisation. Le président de la République lui-même a annoncé qu’on est à plus de 50 % d’informel». À cette fin, Menouar préconise la création d’« une grande centrale de distribution », affirmant qu’il faut « impérativement relancer les marchés de gros et de proximité, d’une manière réfléchie et avec un plan d’urbanisme. Le marché c’est une habitude, on ne peut pas l’implanter n’importe où ».
Au sujet de l’absence d’affichage des prix et autres phénomènes qui vont à contre sens d’une initiative bénéfique pour le consommateur algérien, Menouar pense que « l’absence de l’affichage des prix, et l’exposition du pain et de l’eau à même le trottoir, signifie tout simplement qu’il n’y a pas de contrôle. C’est un droit ultime du consommateur de connaître les prix ».
Poursuivant sa plaidoirie, l’invité du Courrier d’Algérie a évoqué le fait que plusieurs facteurs favorisent l’informel. « Les solutions pour absorber l’informel, ce n’est pas les startups et la création d’entreprises de jeunes, c’est construire les infrastructures. C’est l’informel qui a alimenté la spéculation. Comment se fait-il que chaque année le mouton revient plus cher ? C’est-à-dire que nous ne produisons plus ? Où est-ce que réellement nous avons beaucoup d’agriculteurs qui ne produisent pas ? », a déclaré le narrateur.
Autres propositions, « les commerçants devraient suivre une formation, une idée que nous avons même proposé au ministère du Commerce. Respecter les heures de travail, la permanence. La volonté politique est là, on a discuté avec des responsables, on a décelé chez eux cette envie d’améliorer les choses, mais ils n’ont pas les moyens. Pas les moyens financiers, mais des compétences. Arriver à faire tout ça, ce n’est pas une question de dollars, et non de volonté politique, car on ne peut pas mettre en doute le nationalisme des Algériens. Mais, il nous faut des compétences en management ».
« Le sucre, c’est notre cheval de bataille »
Au titre du mode alimentaire des Algériens, Menouar a de prime abord reconnu que « Notre modèle de consommation n’est pas à nous, car nous avons subi des systèmes colonialistes qui ne nous conviennent pas ».
Et selon lui, « le système alimentaire ne pourra pas changer avec uniquement de la sensibilisation », tout en estimant que « les pouvoirs publics, avec toutes leurs institutions, doivent faire un travail pour orienter la consommation vers un modèle meilleur ». Et de poursuivre : « À notre niveau, nous attendons juste un sponsor pour pouvoir faire des sorties sur le terrain, et pouvoir questionner au moins 1000 personnes par région, pour faire une étude avec des experts. Pour réorienter notre consommation, il nous faudra une meilleure production. Le veau est importé à raison de 65 à 69 % », a mis en exergue l’interlocuteur.
Abordant le volet du sucre, du sel et des matières grasses, l’architecte de profession a révélé que « le sucre, c’est notre cheval de bataille depuis qu’on a commencé et reçu notre agrément. Une sensibilisation contre la consommation élevée de sucre, sel et matière grasse. En 2018, nous avons sollicité le ministère pour qu’il oblige les producteurs à réduire l’utilisation du sucre dans l’agroalimentaire, mais en 2020, le décret ne concernait que la réduction de sucre, et seulement dans les boissons. 140 à 150 grammes de sucre dans les boissons. À partir de novembre 2023, le producteur devrait s’aligner à 105 grammes, à travers un échéancier graduel. La conviction est donc là, mais il y a un manque de tact et de compétences. Même situation concernant la consommation de café en Algérie. Ce sont les experts qui le disent eux-mêmes, on importe du café de mauvaise qualité. Moi personnellement, je préfère consommer du café directement chez le torréfacteur. Notamment en raison du taux de sucre qu’on trouve dans le café qu’on boit, qui atteint parfois plus de 10% ».
Synthèse Hamid Si Ahmed