Le public de la Scala de Milan a acclamé mardi soir une grandiose représentation du «Macbeth» de Verdi pour l’ouverture de la nouvelle saison, réservant une longue ovation à ses interprètes, au premier rang desquels la diva russe Anna Netrebko.
Les artistes ont été salués par des applaudissements nourris pendant douze minutes, de nombreux «bravo !» fusaient et des roses rouges ont été jetées depuis les balcons. Quelques sifflets ont cependant sanctionné la mise en scène audacieuse de Davide Livermore. Temps fort de la vie culturelle italienne, la «Prima» (Première) avait dû renoncer à son public l’an dernier : en raison du Covid, elle avait été remplacée par «A riveder le stelle» («Pour revoir les étoiles»), un spectacle à huis clos mêlant airs d’opéra et ballets, retransmis à la télévision. Des hommes politiques, des grands patrons, des vedettes et des membres de la haute société milanaise, en tenue de gala, se pressaient sous les dorures de la salle du mythique théâtre dominée par des loges drapées de velours rouge, oubliant, le temps d’un spectacle, la pandémie. Présent dans le palco reale, la prestigieuse «loge royale», le président italien, Sergio Mattarella, considéré comme le garant des institutions, a été applaudi pendant plus de cinq minutes avant le début de la représentation. C’était sa dernière «Prima» dans ses fonctions qu’il cessera en janvier. «Nous avons beaucoup de chance d’être ouvert, ça tient un peu du miracle, alors que tant de théâtres ont dû rester fermés» ailleurs en Europe, a déclaré à l’AFP Dominique Meyer, le directeur de la Scala depuis mi-2020. «Je voudrais que notre première soit comme une lumière pour maintenir la flamme afin que l’on comprenne qu’un jour finira ce cauchemar», a-t-il confié. Seul tribut payé au Covid, le dîner de gala a été supprimé, alors que la salle était remplie à pleine capacité avec 2.000 spectateurs. Après six mois de silence, la Scala avait pu rouvrir ses portes au public en mai dernier.
Soif de pouvoir
«Macbeth», inspiré de la tragédie éponyme de William Shakespeare (1564-1616), une intrigue d’amour, de haine et de soif de pouvoir, dans une mise en scène ponctuée d’effets spéciaux de Davide Livermore, a été dirigé d’une main de maître par Riccardo Chailly, chaudement applaudi. «Nous voulions démontrer la modernité presque abrasive de Macbeth, avec une fraîcheur, une théâtralité, qui est même parfois alarmante», explique le directeur musical de la Scala. Lady Macbeth «pousse son mari à commettre de multiples meurtres pour décrocher la couronne. C’est un événement très grave, tragique, malheureusement proche de nombreuses situations que le monde vit actuellement», fait-il valoir. L’intrépide héroïne shakespearienne a été incarnée par la soprano Anna Netrebko, dont la voix expressive aux aigus éclatants a fait vibrer la salle, dans une ambiance empreinte d’angoisse et de mystère. L’émotion a été particulièrement forte pendant la célèbre scène de somnambulisme, qui montre la Lady, prise de folie, errer dans son château, persuadée de voir le sang des crimes sur ses mains, avant de rester suspendue au-dessus d’un gouffre. Dans le rôle de Macbeth, le baryton Luca Salsi dont la voix semble taillée sur mesure pour le répertoire verdien, a séduit le public. «Macbeth est le plus fascinant et le plus complexe des personnages de Verdi», estime-t-il, évoquant «une histoire contemporaine de pouvoir et de sang».
Illusion et réalité
Le décor onirique est monumental, évoquant parfois un panorama de gratte-ciels typique des grandes villes américaines, parfois un gigantesque labyrinthe, métaphore des chemins tortueux dans lesquels s’égare l’esprit des protagonistes. Des villes aux multiples perspectives, où les frontières entre le réel et l’irréel s’effacent, comme dans le film «Inception» de Christopher Nolan (2010), un thriller de science-fiction dans lequel Leonardo DiCaprio plonge dans le subconscient de ses victimes pour y dérober ou y implanter des souvenirs. «Ce drame universel» sur une «tyrannie barbare» pourrait se jouer «à New York, Singapour ou Milan, car face à la dictature, les êtres humains sont tous dans le même bateau», explique Davide Livermore. Si la version choisie par la Scala correspond à celle jouée à Paris en 1865, le quatrième acte a été enrichi d’une scène figurant dans celle de 1847, la mort de Macbeth. «C’est très rare, c’est une très belle musique, très dramatique», commente Dominique Meyer. «Il faut que le chanteur ait une forme olympique pour en pouvoir supporter la longueur».