Dans leur bastion conservateur de Ghazni (sud), les talibans n’ont « aucun problème » avec Zahra et d’autres lycéennes afghanes qui continuent d’étudier. Alors qu’officiellement, leur gouvernement ne le permet pas.
A la mi-août, lorsque les talibans ont repris le pouvoir, les cours ont cessé dans nombre d’écoles du pays. Début septembre, ils ont annoncé la reprise des collèges et lycées pour les garçons, mais pas pour les filles. Depuis, rien n’a bougé, faisant craindre un retour aux années 90, lorsqu’ils interdisaient l’éducation aux filles. Mais dans le district de Qarabagh à Ghazni, les cours n’ont jamais cessé pour les élèves du collège/lycée pour filles géré par le Comité suédois pour l’Afghanistan (SCA), une ONG qui travaille depuis 40 ans dans le pays. Selon Forozan, professeure en première à Nawabad, après leur prise du pouvoir les islamistes sont juste venus vérifier que les enseignantes étaient des femmes et que les élèves se couvraient le visage, hormis les yeux, en présence d’hommes. « Ils étaient contents, car nous étions couvertes comme ils le voulaient », raconte la jeune femme, debout devant une vingtaine d’adolescentes. « Mais nous le portions déjà avant, de toute façon ». « Nous sommes heureuses d’être enfin en sécurité », explique Shafiqa, 17 ans, assise au premier rang, après deux décennies de combats dans la zone qui empêchaient parfois les écoles de fonctionner.
Informatique sans ordinateur
Le district de Qarabagh symbolise toutes les incohérences de la politique éducative actuelle des talibans. Avant de reprendre le pouvoir, ils laissaient étudier les jeunes filles dans les villages qu’ils contrôlaient. Mais en septembre, leur gouvernement n’a pas rouvert les collèges et lycées pour filles, assurant que cela serait fait « aussi vite que possible », une fois un « environnement éducatif sûr » garanti. A Ghazni, les lycées et collèges publics pour filles ont obtempéré, et sont toujours fermés. Mais les cours ont repris dans plusieurs établissements privés pour filles, souligne Mansoor Afghan, le vice-directeur provincial taliban de la culture. C’est aussi le cas dans d’autres provinces, notamment dans le nord, longtemps hostile aux talibans, de collèges et lycées féminins, y compris publics, après négociations entre autorités et communautés locales. Avec des situations parfois absurdes, comme dans le village de Jangalak, toujours dans la province de Ghazni, où la quarantaine de lycéennes et collégiennes de l’école publique doivent rester chez elles.
Mais une douzaine d’autres, âgées de 16 à 19 ans, vont toujours en cours, car appartenant à une classe spéciale de seconde pour élèves un temps déscolarisées gérée par le SCA. Les talibans ont donné leur accord, remplaçant seulement les cours d’éducation civique et patriotique par un enseignement religieux. « Je les vois tous les jours quand je viens, ils n’ont aucun problème avec nous », affirme Zahra, 19 ans, assise dans la vieille maison délabrée qui fait office de classe, sans tables, chaises ni électricité, où on étudie l’informatique sans ordinateurs, dans des livres. « Si les talibans me le permettent, je veux devenir ingénieure », ose rêver Zahra. Sa camarade, Soraya, 18 ans, souhaite être docteure, et Nadia, 17 ans, peintre.
Rêves lointains
Un haut responsable taliban, Suhail Shaheen, a récemment déclaré à l’AFP s’attendre à ce que les filles « soient en classe au printemps prochain », à la rentrée qui suivra la traditionnelle pause hivernale de trois mois. Le respect par les talibans des droits de la femme, et notamment leur accès à l’éducation, est l’une des conditions posées par les pays occidentaux à la reprise de l’aide internationale pour l’Afghanistan, menacé par la famine. Dans le village de Langar, également dans le district de Qarabagh, les élèves d’une classe de terminale du SCA, âgées de 18 à 26 ans, sont à la fois soulagées et inquiètes.
« Nous ne pensions pas que les talibans nous laisseraient continuer l’école, mais ils l’ont fait », constate Mahida, 18 ans. Elle et ses camarades souhaitent poursuivre leurs études pour être professeures, docteures… Ou encore ingénieures électriciennes, peut-être parce qu’il n’y a pas d’électricité dans leur village. Des rêves qui restent encore très lointains. Sohaila, son enseignante, espère que la communauté internationale reconnaîtra le régime taliban, car « cela nous ouvrira des portes » souvent fermées aux filles, avant même le retour des talibans.
A Ghazni comme dans beaucoup d’autres campagnes afghanes, nombre de filles quittent l’école après le primaire, car elles habitent loin, sont mariées très jeunes, ou issues de familles trop pauvres ou conservatrices. En 2016, moins d’une Afghane sur cinq (18%) savait lire et écrire, contre 62% des hommes, selon l’ancien ministère de l’Éducation. « Pour l’instant la situation est bonne », glisse Sohaila, la professeure. Mais face au flou des talibans, elle « reste aux aguets ».