Des dizaines d’affiches, des graffiti multicolores, des collages, des installations : un musée du « soulèvement social » a ouvert ses portes à Santiago pour garder le souvenir d’une contestation inédite qui a durablement marqué le Chili.
Le 18 octobre 2019, une vague sans précédent de manifestations éclate pour réclamer plus de justice sociale face à un système économique accusé de favoriser les plus riches. Parallèlement, un puissant mouvement culturel émerge, avec une créativité qui semble sans limite. Les murs de la capitale deviennent en quelques jours le support non seulement d’une dénonciation qui traduit la rage accumulée pendant des années face aux inégalités sociales, mais aussi des espoirs de nombreux jeunes artistes pour un avenir meilleur. Un an plus tard, alors que les œuvres de cet art de rue éphémère disparaissent des murs de la capitale, effacées par les intempéries ou recouvertes par de nouvelles créations, un musée vient d’ouvrir à quelques encablures de la désormais célèbre Plaza Italia, épicentre des manifestations rebaptisée par les protestataires Place de la Dignité.
« Nous avons voulu créer cet espace afin que soit montré ce qui s’est exprimé dans la rue lors des manifestations », explique à l’AFP l’artiste visuel Marcel Sola qui a demandé à 70 artistes de reproduire leurs oeuvres murales et de rassembler divers objets emblématiques, selon eux, de cette période. Sur les murs du musée revivent ainsi des fresques apparues au plus fort des manifestations comme celle représentant l’ancien président socialiste Salvador Allende (1970-1973) portant une veste de fleurs colorées et formant un coeur avec ses mains, ou encore celle montrant un ange, masqué, le mot « dignité » inscrit sur le front.
Casseroles et gaz lacrymogènes
Au milieu de la salle d’exposition apparaît une sculpture géante, construite par Marcel Sola lui-même, du chien de rue qui, un foulard rouge autour du cou, défendait les manifestants contre la répression policière et était rapidement devenu un emblème de la révolte sociale. Le musée a ouvert ses portes début novembre, juste après le référendum du 25 octobre au cours duquel les Chiliens ont plébiscité un changement de Constitution pour remplacer l’actuelle héritée de la période de la dictature d’Augusto Pinochet (1973-1990) et accusée par de nombreux Chiliens d’être une entrave à toute réforme sociale de fond. Avec des horaires réduits en raison de la pandémie de coronavirus, le musée reçoit environ 150 visiteurs par jour. Le ticket d’entrée de ce « musée par le peuple pour le peuple » est au bon vouloir des visiteurs. Nombre d’entre eux sont des participants aux manifestations qui retrouvent avec émotion à travers les photos projetées ou les vidéos diffusées l’ambiance des rassemblements. « J’aime beaucoup la chaleur que je ressens ici, je me sens comme à la maison. Cela fait ressurgir beaucoup de souvenirs » témoigne Pedro, un musicien de 24 ans. D’autres oeuvres évoquent les 460 manifestants blessés aux yeux par les tirs de chevrotine des policiers chargés de maintenir l’ordre. Parmi les objets devenus symbole de la révolte figurent les boucliers fabriqués artisanalement par les protestataires les plus radicaux, qui avaient durement affronté les policiers, en général en fin de manifestation. Il y a aussi les poêles ou casseroles que battaient frénétiquement les protestataires pour faire entendre leur colère, ou encore les restes de centaines de grenades de gaz lacrymogène lancées par la police pour disperser les manifestants.