On décrit souvent la présidentielle américaine comme une longue course d’obstacles bien codifiée par la Constitution. Avec Donald Trump, ce processus poli par deux siècles de tradition risque de virer au jeu de massacre historique.
Dans douze mois, l’un des occupants les plus controversés de la Maison Blanche y jouera son maintien en se présentant de nouveau devant un électorat divisé comme jamais. S’il gagne au soir du 3 novembre 2020, l’impétueux milliardaire n’aura pas simplement vaincu ce qu’il décrit comme un système ligué contre lui: il aura réchappé de façon spectaculaire à une enquête visant à le destituer. En face, les démocrates sont encore loin d’avoir désigné celui ou celle qui aura pour mission de défier le chef de la première puissance mondiale. Parmi les candidats en lice pour cette primaire de l’opposition figurent plusieurs femmes, deux Afro-Américains, un homosexuel revendiqué et deux septuagénaires qui, l’un comme l’autre, promettent à l’Amérique un grand virage à gauche. Une chose unit ces personnalités diverses: leur désir de priver Donald Trump d’un second mandat, une humiliation subie par seulement trois autres présidents depuis la Seconde Guerre mondiale. Comment décrire l’enjeu de ce rendez-vous ? C’est ni plus ni moins une «bataille pour l’âme de l’Amérique», assure l’ex-vice président de Barack Obama, Joe Biden, l’un des favoris côté démocrate. Ce à quoi Donald Trump rétorque: les démocrates «veulent détruire notre pays». Dans ce climat délétère, la Russie entend influencer les électeurs comme elle l’a fait en 2016, avertissent les services américains de renseignement. «Il faut chercher loin pour trouver une élection aussi explosive et imprévisible que celle-ci», constate Allan Lichtman, éminent professeur d’histoire à l’American University.
La bataille des bases
Le résultat du 3 novembre 2020 aura des répercussions dans le monde entier. Conflits commerciaux avec la Chine et l’Union européenne, avenir de l’Otan, engagement américain au Moyen-Orient et en Afghanistan, impasse nord-coréenne, accord de Paris sur le climat: tous ces thèmes brûlants subiront l’impact de la prolongation ou non du programme phare de M. Trump: «L’Amérique d’abord». Mais impossible aujourd’hui de prévoir avec certitude l’issue d’une joute électorale qui verra se déchaîner les passions, les éclats ou… les coups bas dans une pays ultra-polarisé. Si on se fie aux sondages, Donald Trump est à la traîne de ses principaux rivaux démocrates, avec une cote de popularité oscillant autour de 40%. Mais ce même homme n’avait-il pas déjoué les pronostics de façon spectaculaire en battant Hillary Clinton en 2016 ? Un exploit qu’il pourrait rééditer en adoptant la même tactique qu’à l’époque: parier sur une mobilisation de sa base électorale pour conquérir quelques Etats-clé lui permettant d’obtenir une majorité de grands électeurs, et remporter le scrutin indirect tout en perdant la majorité populaire. Avec des votants fermement campés sur leurs positions, il ne faut pas s’attendre à des transferts massifs de voix, estime Charles Franklin, directeur de l’institut Marquette Law School Poll. «Le soutien pour le président est intense au sein de sa base, et l’opposition (au président) est encore plus intense», analyse-t-il. Dans ces conditions, il faudra selon lui observer la seule frange de l’électorat susceptible de virer de bord, celle qui dit «un peu approuver» la politique présidentielle.
La question de «l’impeachment»
Mais l’actuelle procédure d’»impeachment» engagée au Congrès pour mettre en accusation le 45e président des Etats-Unis pourrait rebattre toutes les cartes. Donald Trump se voit reprocher d’avoir encouragé une puissance étrangère –l’Ukraine– à recueillir d’éventuels éléments défavorables sur Joe Biden. Si la Chambre des représentants –à majorité démocrate– vote la mise en accusation formelle du président, il reviendra au Sénat –à majorité républicaine– d’en instruire le procès. Une destitution apparaît donc pour l’heure peu probable. Restera la marque d’infamie de l’impeachment. Au pays de la politique spectacle, une foule d’autres sujets sont susceptibles d’alimenter l’énorme machine médiatique durant cette année rythmée par les débats, les primaires et les incontournables conventions des partis. Les démocrates choisiront-ils la sénatrice Elizabeth Warren, dont la remise à plat de l’économie qu’elle prône effraie les modérés, ou bien vont-ils plébisciter le plus consensuel mais moins dynamique Joe Biden ? Autre question de plus en plus sur les lèvres: Donald Trump accepterait-il son éventuelle défaite, lui qui estime jouir d’une impunité constitutionnelle et qualifie de «coup d’Etat» la procédure ouverte à son encontre par des élus du Congrès. La présidentielle 2020 sera la plus risquée depuis un demi-siècle, avance M. Lichtman.