Le Mouvement populaire et citoyen (Hirak) a, sans doute, pris de l’âge : une année dans à peine deux semaines. Mais il a aussi gagné en maturité. Aussi – et rares sont ceux qui s’étaient attendus – en force. Hier, une marée humaine a marché, en effet, à Alger.
La rue Didouche Mourad et la Rue Asselah Hocine, pour ne citer que les plus connues, ont été noires de monde. Les drapeaux ont flotté dans les airs et des chants, fruits du génie populaire algérien, ont retenti. Et des cris. D’espoir. D’impatience. De promesses de ne pas lâcher prise… Bref, Alger s’était mise aux couleurs de la protestation des premiers jours du soulèvement. « Le Hirak est une énergie propre et renouvelable », a écrit un manifestant sur une pancarte. Ça en a bien l’air ! Et dans ce climat de « fête visant la construction d’un pays », dira un vieil homme, les manifestants ont prouvé une énième fois leur détermination d’aller jusqu’au bout. « Jusqu’au changement total du système », assure un habitué du mouvement avec un large sourire. Et d’ajouter : « Maintenir la pression est plus que jamais à l’ordre du jour. Ils vont finir par céder ». « Ils » ce sont « les décideurs, les politiciens, ceux qui ont mené le pays à la dérive… ». Réglé comme une machine hautement sophistiquée et bien huilée, le « mouvement » a, bien évidement, repris ses thèmes et ses slogans habituels : « Koulna el issaba t’rouh » (nous avons dit que le clan cédera le pouvoir) ; « Ya Ali, ouladek mahoum’che habsine, ala el hourrya mâawline » (Ali (Ali la Pointe, ndlr), tes enfants ne vont pas s’arrêter, la liberté est leur ultime but) ; « dawla madania, machi askaria » (un État civil, non militaire)… D’autres slogans ont été, en outre, repris en chœur. « Rien qu’avec ça, on pourrait écrire une bonne constitution. L’essentiel des revendications du peule est là », dira un manifestant. Le Hirak n’allait, bien évidemment, pas oublier les détenus. Les manifestants ont brandi les portraits de ceux qui sont encore en prison à l’instar de Karim Tabou et de Fodil Boumala. « Nous allons continuer à demander la libération des détenus jusqu’à ce qu’il n’en reste aucun dans leurs prisons », dira un homme d’un certain âge qui brandissait une pancarte où on pouvait lire : « Liberté pour Sofiane Merakchi ». La moudjahida Louisette Ighilahriz, elle, a choisi de rendre hommage à sa « sœur de combat », Annie Steiner, militante du FLN, née le 7 février 1928 à Hadjout. Algérienne d’origine pied noir, Annie Steiner, juriste de formation, a été membre du « réseau bombes » de Yacef Saâdi. « Joyeux anniversaire, ma sœur de combat, Annie Steiner. Le Hirak te rend hommage », a écrit, en effet, Ighilahriz sur une pancarte.
L’ombre de Benkhedda, Abane et Ferhi
Les manifestants ont également scandé comme pour prendre l’« Architecte de le Révolution » à témoin : « essemeou ya nas, Abane khella wesaya, dawla madania, machi askaria » (écoutez, ô, gens ! Abane a laissé un testament : État civil, non militaire !). Benyoucef Benkhedda a, lui aussi, été de la partie : des centaines de pancartes lui ont été brandies. L’autre invité qui était loin d’être une surprise est le regretté Hamid Ferhi, l’ex-Coordinateur national du Mouvement démocratique et social (MDS), décédé le 5 février 2019 à l’âge de 60 ans. Le MDS a profité du 51ème vendredi du Hirak pour lui rendre un vibrant hommage : des dizaines de portraits du défunt, ainsi qu’une grande banderole, ont sillonné les rues d’Alger. Fethi Ghares, le secrétaire national du MDS, en plus de parler des qualités rares du militant qu’était Hamid Ferhi, nous déclare : « le Pouvoir, actuellement, a envie de créer une contre-révolution. Il veut orienter le Hirak vers des sujets contraires à sa volonté et à sa dynamique. (…). Le peuple veut transformer l’Algérie de la Mecque des révolutionnaires à la Mecque des démocrates. Et il va réussir. L’Algérie et le peuple algérien sont faits pour gagner ». Les manifestants n’ont, par ailleurs, pas été avares en critiques quant aux 150 millions de dollars que l’Algérie vient de déposer à la Banque centrale de Tunisie. « Sonna téléphone, ittou min fransa, drahem zawali, dawhoum twansa » (le téléphone a sonné, c’est la France qui appelle, et l’argent du pauvre est allé aux tunisiens), chantaient de temps à autre les manifestants. « Ce sont (les Tunisiens, ndlr) nos frères, mais cet argent nous en avons besoin plus qu’eux », plaide l’un d’eux.
Hamid F.