À l’aube de l’ouverture du mercato d’hiver, la FIFA, contrainte par l’arrêt Diarra de la Cour européenne de justice, a décidé de modifier temporairement ses règles de transfert. Si ces ajustements visent à prévenir un chaos juridique immédiat, ils soulèvent de nombreuses interrogations sur les conséquences à long terme pour les clubs et joueurs. Explications.
À quelques jours du coup d’envoi du mercato d’hiver, la FIFA se retrouve dans une position délicate. Depuis l’arrêt de la Cour européenne de justice (CEJ) dans l’affaire Lassana Diarra, l’instance dirigeante du football mondial a été sommée de revoir ses règles de transferts. La CEJ a jugé que certaines pratiques de la FIFA, notamment celles concernant la solidarité imposée au joueur et à son nouveau club après une rupture de contrat, étaient contraires au droit européen du travail. Un défi juridique majeur pour la FIFA, qui a jusqu’à présent mis en œuvre des règles protectrices pour les clubs, au détriment des droits des joueurs. Pour éviter une multitude de litiges devant les tribunaux à l’aube du mercato de janvier, la FIFA a donc introduit des modifications temporaires à son règlement, sans pour autant avoir encore finalisé une réforme complète.
Les ajustements apportés par la FIFA, bien qu’essentiels, sont destinés à calmer la situation sans entrer dans une révision en profondeur de ses règles. Ces mesures, en vigueur uniquement pour le mercato d’hiver de 2024, visent à offrir une flexibilité temporaire tout en assurant une continuité des transferts. Le but : éviter un effondrement du système tout en respectant les principes du droit européen. La FIFA prend donc une position pragmatique, comme l’explique Thierry Granturco, avocat spécialisé en droit du sport : « Les règles de la FIFA ne sont pas conformes au droit européen, elles sont beaucoup trop protectrices des clubs. Elles devront être modifiées pour permettre une plus grande liberté de circulation des joueurs » a-t-il déclaré.
La résiliation de contrat et la notion de juste cause
L’une des premières modifications concerne la notion de « juste cause » dans la résiliation d’un contrat. Selon la FIFA, un joueur pourra mettre fin à son contrat de manière unilatérale si certaines conditions sont remplies, telles que des salaires impayés ou une absence de temps de jeu. L’article 14 du Règlement du Statut et du Transfert des Joueurs définit désormais plus clairement cette notion de juste cause. Toutefois, cette clarification ne change pas fondamentalement la situation. Comme le souligne Jennifer Mendelewitsch, agent de joueurs, « les joueurs ne pourront pas partir librement. Il y aura toujours un calcul. Le club quitté recevra une indemnité, donc cette règle ne changera pas fondamentalement le fonctionnement des transferts. » Les joueurs pourront toujours engager des procédures juridiques pour résilier leur contrat, mais ces démarches prendront du temps et coûteront cher. La FIFA, de son côté, cherche à éviter des contentieux en série, bien qu’elle ouvre la porte à plus de souplesse dans la résiliation de contrats.
La responsabilité des clubs et les nouvelles règles de transferts
Un autre point clé des réformes porte sur la responsabilité des clubs dans les cas de résiliation de contrat sans juste cause. Auparavant, tout club recrutant un joueur ayant rompu son contrat était automatiquement responsable du paiement de l’indemnité de transfert.
Désormais, les nouveaux clubs ne seront plus systématiquement considérés comme complices dans ce type de situation. Le club ne sera tenu responsable que s’il existe des preuves qu’il a incité le joueur à partir. « Le nouveau club du joueur sera responsable uniquement s’il peut être prouvé qu’il a incité la rupture du contrat », précise la FIFA dans son règlement modifié. Cette modification pourrait offrir une certaine protection aux clubs recruteurs, qui ne seraient plus jugés coupables par défaut.
Cependant, certains experts, comme Mendelewitsch, estiment que cette règle pourrait être difficile à appliquer en pratique. « Il y aura toujours des éléments de preuve contre les clubs recruteurs, car si un joueur quitte son club actuel, il faut qu’il ait la certitude de signer ailleurs. Et cette certitude constitue en soi une preuve de collusion. » L’ambiguïté demeure, et si cette nouvelle règle peut sembler favoriser les clubs, elle soulève des questions sur la manière dont les preuves seront recueillies et interprétées.
Une autre évolution notable concerne l’introduction de la notion « d’intérêt positif ». La FIFA souhaite désormais calculer l’indemnité de transfert en tenant compte des « dommages subis », notamment les pertes de revenus telles que les droits TV ou la vente de maillots. Bien que cette notion soit floue, elle permettrait aux clubs de justifier des pertes en cas de rupture de contrat. L’avocat Thierry Granturco tempère cependant : « L’intérêt positif, c’est un garde-fou pour que les clubs ne se retrouvent pas avec des indemnités excessives. Cela pourrait, par exemple, concerner un joueur qui, en partant, aurait empêché son club de gagner des matchs ou d’obtenir une qualification. » Ce calcul des dommages est complexe et variera en fonction des circonstances spécifiques à chaque cas.
Les transferts internationaux et le Certificat International de Transfert (CIT)
Enfin, la dernière modification importante concerne les transferts internationaux. Auparavant, un joueur risquait de ne pas obtenir son Certificat International de Transfert (CIT) en cas de litige, ce qui l’empêchait de jouer dans son nouveau club. Ce blocage a désormais été levé : la FIFA exige que le CIT soit émis dans un délai de 72 heures, même en cas de conflit juridique. « C’est une avancée importante pour les joueurs, car cela leur permet de continuer à jouer sans être bloqués par des conflits contractuels », souligne Mendelewitsch.
Ces ajustements temporaires permettent de maintenir la fluidité des transferts cet hiver, mais la véritable réforme, qui pourrait réécrire en profondeur les règles du mercato, reste attendue. Le monde du football est sur le qui-vive, en attendant que la FIFA finalise ses changements pour garantir un équilibre entre les droits des joueurs et la protection des clubs.
Mohamed Amine Toumiat