La souffrance des femmes enceintes dans la bande de Ghaza ne se limite plus à la fatigue, aux douleurs de la grossesse ou aux angoisses liées à l’accouchement. Elles sont désormais aggravées par la famine qui sévit dans l’ensemble du territoire, frappant sans distinction tous les habitants piégés par une guerre atroce.
Depuis près de trois mois, les vitamines, le fer et les compléments alimentaires indispensables aux femmes enceintes sont introuvables, que ce soit dans les pharmacies ou dans les centres médicaux dépendant du ministère de la Santé. En cause : le blocus imposé par les forces israéliennes, qui empêchent l’entrée de la moindre cargaison de denrées essentielles, y compris la farine. Cette politique de famine méthodique s’inscrit dans une stratégie plus large de guerre totale contre la population de Ghaza, affamée et épuisée après plus de vingt mois d’offensive militaire ininterrompue. Alā’ al-Ḥallāq, une future mère, raconte : « La famine a touché chaque individu à Ghaza. Personnellement, je n’ai pas mangé de pain depuis plus de deux semaines. Je suis privée de tout aliment riche en fer ou en calcium, essentiels pendant la grossesse. J’ai peur pour mon bébé». Elle décrit une fatigue extrême, des douleurs articulaires et un sentiment d’épuisement constant : « Je sens que mon bébé se nourrit de mes os. Je n’ai rien mangé de nourrissant depuis si longtemps. La guerre, les conditions de vie dans les tentes et l’absence de repos rendent tout insupportable». Même désespoir chez Samah Riḍwān, enceinte également, qui craint une fausse couche : « J’ai déjà perdu deux bébés. Mon dernier est décédé à deux mois, faute de soins et à cause du manque de nutriments. Aujourd’hui, la famine revient, et je suis de nouveau enceinte, sans aucune protection». Ces femmes décrivent un effondrement physique progressif : amaigrissement, anémie, extrême faiblesse. Et même si elles parviennent à mener leur grossesse à terme, les nourrissons risquent de naître dans un état de santé critique, souffrant eux-mêmes de carences majeures. Le lait maternel, en l’absence d’une alimentation suffisante, sera lui aussi pauvre en nutriments, entraînant des complications potentielles pour les nouveau-nés. Samia Aḥmad, une autre habitante, ajoute : « Je n’ai pas mangé de viande, de poisson, de lait ou même d’œufs depuis longtemps. Même le pain est devenu un luxe. Nous vivons une famine totale». Elle supplie pour la fin de la guerre et la reprise de l’aide alimentaire, espérant que son bébé puisse naître dans des conditions humaines après cinq années d’attente pour concevoir un enfant. Pour le docteur ʿAdlī al-Ḥājj, gynécologue-obstétricien, la situation actuelle est « une des pires formes de crime par la faim jamais enregistrée ». Il témoigne avec émotion : « Certaines femmes n’ont pas vu un morceau de pain depuis plus de quinze jours. Elles souffrent de malnutrition, de fausses couches, d’accouchements prématurés, de déformations fœtales… Et le monde se tait. » Le docteur Aḥmad al-Farrā, chef du service de pédiatrie à l’hôpital Nasser, souligne la disparition de compléments essentiels comme l’acide folique, l’oméga 3 et la vitamine B12 : «L’absence d’acide folique, indispensable pendant les 120 premiers jours de grossesse, entraîne des malformations du tube neural. Cela peut provoquer des naissances sans cerveau ou avec de graves déficits moteurs et intellectuels». Une naissance sans cerveau a d’ailleurs été enregistrée dans le nord de Ghaza, conséquence directe de la malnutrition extrême que subissait la mère pendant la première vague de famine de l’an dernier. Selon un rapport international, l’ensemble des habitants de Ghaza fait désormais face à une insécurité alimentaire aiguë. Quelque 47 000 personnes sont classées au stade 5 – le plus élevé, désignant une famine totale –, tandis que plus d’un million vivent une urgence humanitaire au stade 4. Le nombre de personnes en situation de famine a presque doublé depuis octobre 2024.
« Génocide par privation de naissances »
Un centre de défense des droits humains a également révélé que près de 60 000 femmes enceintes vivent aujourd’hui dans des conditions inhumaines. La privation d’aide humanitaire et médicale depuis début mars constitue, selon lui, une forme de « génocide par privation de naissances », tel que défini dans la Convention de 1948. Le Conseil national palestinien a dénoncé dans ce contexte le bombardement du complexe médical Nasser à Khan Younès par l’armée israélienne, qui a coûté la vie à plusieurs patients et civils, dont le journaliste Hassan aṣ-Ṣliḥ. Dans un communiqué, le Conseil a qualifié ces frappes de « crimes de guerre aggravés», soulignant que le ciblage des hôpitaux et des civils viole ouvertement le droit international humanitaire, notamment les Conventions de Genève. Il a également alerté sur l’ampleur du crime de famine et de privation volontaire de soins, d’eau et de nourriture, qualifiant les actions israéliennes de « crime contre l’humanité et d’acte de génocide délibéré ». Le Conseil a rappelé qu’au moins 213 journalistes ont été tués depuis le début de la guerre, preuve, selon lui, d’une volonté délibérée de faire taire toute couverture indépendante du conflit. Hier, cinq personnes supplémentaires ont été tuées dans différents secteurs de la bande de Ghaza par des drones et des frappes aériennes, notamment dans le camp d’al-Buraïj, à an-Nasirāt et dans le quartier de Shujaïa à l’est de Ghaza. D’après le dernier bilan, l’offensive israélienne lancée le 7 octobre 2023 a causé la mort de 52 908 Palestiniens, majoritairement des femmes et des enfants, et blessé 119 721 autres. De nombreux corps restent encore sous les décombres, inaccessibles aux secours. Face à cette tragédie, la présidente du Comité international de la Croix Rouge, Mirjana Spoljaric, a lancé un appel urgent à la reprise du cessez-le-feu et à la protection immédiate des civils : « La situation humanitaire à Ghaza est catastrophique. Il faut une volonté politique immédiate pour sauver des vies». La Croix Rouge a réaffirmé son engagement à fournir des aides vitales, à faciliter la libération des détenus et à garantir l’accès des secours. Elle exhorte les parties prenantes à cesser les hostilités et à rétablir un minimum de dignité humaine à une population meurtrie.
M. S.