Le numéro de la revue annuelle daté du mois de Juin 2020, Concerto pour marées et silence, une publication de Poésie paraissant à Paris et dirigée par la poétesse et artiste peintre Colette Klein, a publié des textes inédits de Kenzy Dib extraits de son dernier recueil intitulé « L’île, l’autre », ouvrage en attente d’un éditeur.
Par Ali El Hadj Tahar
L’auteur, figure déjà dans l’anthologie « Terres d’Afrique » de Gabriel O’Koundji (Cameroun, 2011), dans l’ « Encyclopédie de la poésie algérienne de langue française, 157 poètes », d’Ali El Hadj Tahar (Dalimen, 2009), et dans « Chants et complaintes du Polygone » de Mohamed Younsi, 2003. Né le 15 novembre 1949 à El Milia de parents originaires de Collo, Kenzy Dib a fait ses études primaires et secondaires à Batna et Sétif avant d’obtenir une licence en sciences économiques à Alger. Économiste à Sonatrach puis dans une banque, ensuite directeur d’une entreprise de distribution, Kenzy a terminé sa carrière professionnelle dans le secteur des assurances, à Constantine où il vit depuis 1979. Kenzy Dib a aussi collaboré dans la presse dès les années 1980, notamment à El Moudjahid et Algérie Actualité où il publiait des articles sur la culture. Le poète, assez silencieux et discret, et donc souvent oublié par la presse, n’a publié qu’un seul recueil, « Au Sud de nos nuits magnétiques », mais il en a d’autres dans le disque dur de son ordinateur : « Le temple de la démence », « La voûte de feu » et « L’île, l’autre ». Depuis qu’il a pris sa retraite, la poésie prend plus de place dans son emploi du temps, qu’il consacre essentiellement à sa famille. Dib, qui a également un roman et un recueil de nouvelles inédits, a obtenu le Prix hors concours aux 2èmes Poésiades de Béjaïa ; le 1er Prix de poésie Léon Caudron, 2004 (France) ; le Prix d’excellence au Concours Poètes d’aujourd’hui, 2005 (France).
Coulé dans une modestie en béton, il ne propose pas ses recueils aux éditeurs mais a le courage de participer à des concours. Quelle doit être sa surprise quand il cartonne avec des prix en Algérie et en France ! Profonde mais discrète est la poésie de Dib. Ici discrétion ne signifie pas minimalisme, bien au contraire car cette poésie perpétue l’exigence d’un Jean Amrouche ou d’un Malek Haddad. Dans sa modestie, elle ne cherche pas les grandes vibrations d’une symphonie mais les petites notes d’une fugue. Elle ne cherche pas à épater ni à se pavaner mais à dire, à exprimer quelque chose d’essentiel qui a à voir avec l’âme et le cœur, avec l’être, ses joies et ses souffrances.
Cette discrétion est adoptée comme une éthique, car pour Kenzy Dib l’humilité est la condition de l’amour et de la générosité. Lucide et tempérée, sa poésie porte aussi une interrogation philosophique, encore sous-jacente mais qui s’énonce progressivement et qui porte sur le sens de l’existence et du pourquoi nous sommes au monde. Dib interroge aussi les objets et les choses sur leur sens intime. Mais n’étant pas définitivement et clairement assis, il est trop tôt pour parler du soubassement philosophique de cette poésie. Comme Jean Amrouche dans Cendres, Kenzy Dib a mis en place une esthétique et un début d’articulation philosophique que l’auteur tarde cependant à élaborer dans une réflexion claire qui pourrait orienter et éclairer son œuvre.
Kenzy Dib est un poète inspiré, un producteur qui approfondit sans cesse son œuvre mais qui a besoin d’une articulation théorique pour être bien sous-tendue et comprise dans son entendement stylistique et philosophique et ce, de façon claire et cohérente. Cette voix déjà forte de la poésie nationale est d’une grande pureté questionne l’âme et l’être algériens dans leurs dimensions culturelles, sociales, ontologiques, identitaires, comme elle questionne la nature et l’environnement qu’ils habitent et façonnent.
Sans trébucher/ ils marchent / sous les ailes du burnous blanc/ perpétuant le geste et le signe infini
Cueillies aux grains de leurs mains / leurs voix mêlées s’élèvent /le temps de recoudre /l’espoir au cœur palpitant/sur les lèvres et la mémoire/ du grand oiseau blanc
Dib écrit encore, avec ces mots fragiles, qui esquissent plus qu’ils ne dessinent, murmurent plus qu’ils ne disent. Enonçant peu et révélant beaucoup, le poète aime la phrase rare, loin des métaphores faciles, des symboles éculés car pour lui, la poésie est une évidence, un rapport à soi avant d’être un rapport avec l’autre, le lecteur qui n’est pas aussi rare qu’on le croie. C’est un langage qui parle au nom de l’Homme et des choses que cette poésie, qui respire les éléments, pierre, air ou vent.
Je suis le vent égaré /Quelque part tout simplement /-sans mes béquilles- /bientôt un vague essaim de lumière /au rendez-vous des couleurs sans nom/Je suis un peu/le sang /des passant transparents.
Entretien avec le poète :
«Les grands espaces de solitude m’ont toujours inspiré»
Votre poésie est moderne, mais elle reste classique dans le fond, c’est-à-dire lisible, proche des canons traditionnels qui supposent compréhension, prosodie, une certaine musicalité. Vous êtes plus proche de Malek Haddad, de Sénac ou de Djamel Amrani car vous cherchez aussi la lisibilité. La poésie, c’est quoi pour vous ?
La poésie peut-être perçue comme le reflet d’un parcours d’émotions du dedans et du dehors ; elle est parfois silence à l’ombre de l’instant, comme les mots dormants en marge de la pensée. Il y a la lisibilité apparente qui appelle d’autres lectures et il est difficile de faire la part des choses. En fin de compte la poésie ne survit pas aux grilles de lectures toutes faites. Chez nous, les ouvrages ayant trait aux études critiques des œuvres de nos auteurs en poésie sont rares et parfois introuvables.
À mon avis, la vraie critique poétique interroge les mots invisibles, recherche les mots furtifs, tâtonne après les non-dits et participe aux élans, comme aux piétinements muets qui jalonnent le texte.
Votre tonalité n’est pas lyrique. Votre inspiration aime la phrase courte, le vers condensé, mesuré, qui ne s’épanche pas trop mais qui dit beaucoup en quelques mots.
Le style d’écriture que l’on adopte pour la prose poétique est bien différent de celui du poème bien que les deux évoluent dans un esthétisme semblable, toutes proportions gardées. Les grands espaces de solitude m’ont toujours inspiré et mes tous premiers textes ont été écrits aux pieds du phare de la presqu’île de Collo où je passais de grands moments à prendre des notes, que je reprenais au propre pour les soumettre à mon professeur de français du lycée Mohamed-Kerouani de Sétif où j’étudiais à l’époque.
Plus tard, avec les poètes Abdallah Bensmaïn et Ali Boumegoura, au café Nedjma de Constantine, nous avions composé de manière très spontanée un texte concis à trois voix dans une telle harmonie qu’il nous était quasiment impossible de le reprendre. Ce poème figure d’ailleurs dans le Tome 1 de l’Encyclopédie de la poésie algérienne de langue française (1930-2008) de Ali El Hadj Tahar paru aux Éditions Dalimen.
Votre poésie porte sur quoi? Quels sont vos sujets, en général ?
À la sortie de mon recueil « Au sud de nos nuits magnétiques », un court article sur la page Radar du quotidien Liberté avait présenté l’ouvrage comme un ensemble de poèmes « intimistes ».
En fait je ne choisis pas mes sujets, ils s’imposent d’eux-mêmes ; évoquer Vgayeth (Béjaia) où j’ai eu ma première distinction littéraire, Collo la ville natale de mes parents ou Constantine où je réside, n’est en fait qu’un signe de reconnaissance à la grandeur et à la beauté de ces sites.
En réalité quand le besoin d’écrire se fait sentir, je n’ai aucune idée sur quoi sera construit mon texte ; je ne fais qu’aller dans le sillage des mots et les suivre dans ce qu’ils ont d’attachant ou de troublant dans leur inaccessibilité.
Votre poésie est-elle parfois politique ? Quel est ou doit être le lien de la poésie avec la politique ? Ou bien le poète traite-t-il de la vie sans se soucier de politique ? Quels poètes lisez-vous ?
J’ai lu tous les poètes de ma génération et même ceux d’avant. Pour moi le politique se résume à soutenir les causes justes et à souhaiter une humanité « plus humaine ».