Cherchant dans l’amour la possibilité d’une résilience, méditant sur les tragédies du passé qui fragilisent le vivre-ensemble aujourd’hui, les poèmes du recueil « Fragments de la maison », de Habiba Djahnine, interrogent avec force le travail de deuil et la reconstruction de soi. Plus connue en Algérie comme réalisatrice de films documentaires, Habiba Djahnine propose pour son second livre de poésie (60 p, éd. Bruno Doucey, France) vingt-neuf textes où la question de la survie après les drames personnels et la « guerre » constitue le thème principal.
Dans ces écrits méditatifs, intimistes ou fulgurants, l’auteure convoque une multitude de sentiments (amour, peur, colère, solitude…) et de concepts (mémoire, oubli, identité, langue) pour développer un propos où la poésie devient le « seul langage possible » pour conjurer les traumatismes provoqués par l' »indicible » violence terroriste des années 1990 en Algérie. Habiba Djahnine questionne également, dans ces textes, le rapport à l’autre et à la communauté après ces années de sang, particulièrement dans les poèmes d’amour qui inaugurent le recueil. Intitulés « Lointain si proche », « Les amants imaginaires » ou encore « Alphabet du corps », ces poèmes à la première ou la troisième personne chantent l’union des amants lors de « nuit(s) d’amour qui chasse (ent) les démons » et où la « plaie oublie la douleur ». Ils sont aussi l’occasion pour la poétesse de s’interroger avec lucidité sur la possibilité d’aimer à nouveau après n’avoir « appris qu’à mourir », une inquiétude sur la capacité à vivre avec l’Autre qui transparait aussi lorsqu’elle évoque l’avenir de la communauté. « Nous avons si bien appris le chemin des cimetières que plus rien ne semble interrompre la procession » écrit-elle, amère, dans « Le monde sous nos pieds », un des textes les plus poignants du recueil.
Ce lien avec les disparus s’avère pourtant essentiel pour Habiba Djahnine qui invoque à plusieurs reprises les « fantômes », sorte de « sentinelles invisibles » qui veillent sur les « mémoires » et les « amnésies » de ces années douloureuses. Il s’illustre par ailleurs dans la dernière partie du livre, intitulée « Autres conversations avec les fantômes », comportant des poèmes au ton plus vif, écrits sous forme d’interrogations sur l’oubli, la peur ou encore la réconciliation.
Construit comme une succession de moments de vie fugaces, saisis avec un style sans fioritures, fait de ressassements, de phrases simples mais profondes et rythmées, « Fragments de la maison » aborde une thématique rarement explorée dans le champ littéraire algérien, en roman comme en poésie.
Il se veut aussi une occasion de découvrir une autre facette de Habiba Djahnine, plus sensible et intimiste que dans son travail engagé et citoyen de documentariste et de formatrice.
Né en 1968, Habiba Djahnine est l’auteure, depuis les années 2000, de films documentaires comme « Avant de franchir la ligne d’horizon » (2011) consacré à l’engagement politique depuis octobre 1988, ou encore « Lettre à ma sœur » (2006), réalisé en hommage à sa sœur, Nabila Djahnine, une militante féministe assassinée en février 1995 en pleine tourmente terroriste. Également fondatrice de l’association « Cinéma et mémoire », Habiba Djahnine a dirigé l’atelier « Béjaïa doc », qui a permis de former depuis 2007 plusieurs jeunes réalisateurs de films documentaires et d’organiser des rencontres dans la ville de Béjaïa.