L’accord péniblement conclu à Lausanne, jeudi 2 avril, n’est que l’ultime étape d’une longue saga sur le nucléaire iranien dont l’origine remonte au tournant du siècle. A l’époque, le président américain, George W. Bush, était vent debout contre Téhéran et voulait traîner l’Iran devant le Conseil de sécurité de l’ONU après les révélations, en août 2002, sur la construction d’un site d’enrichissement à Natanz et d’un réacteur à eau lourde à Arak, dont l’Iran avait dissimulé l’existence.
Les prémices
Il a fallu toute l’habilité de Dominique de Villepin, alors chef de la diplomatie française sous la présidence de Jacques Chirac, pour freiner cette escalade. En octobre 2003, il s’est rendu à Téhéran en compagnie de ses homologues britannique et allemand, Jack Straw et Joschka Fischer. Le contexte régional était électrique. En avril, les Etats-Unis avaient envahi l’Irak et balayé le régime de Saddam Hussein. L’Iran redoutait, à son tour, de faire les frais d’une intervention militaire. Les premiers pas ont été encourageants. Le président réformateur Mohammad Khatami est au pouvoir et il charge un certain Hassan Rohani, l’actuel chef de l’Etat iranien, de conduire les pourparlers. L’Iran gèle son programme nucléaire et accepte des inspections poussées de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA). Le pays dispose alors de seulement 160 centrifugeuses, contre près de 20 000 aujourd’hui, qui servent à transformer l’uranium. Enrichi à un niveau élevé, il peut être utilisé pour fabriquer une bombe atomique. En contrepartie, les Européens se disent disposés à aider l’Iran à se doter d’un parc nucléaire civil.
L’enlisement
Mais au bout de deux ans, les négociations s’enlisent. Face aux blocages, les Iraniens perdent patience et relancent leur programme nucléaire. L’élection du très nationaliste président Mahmoud Ahmadinejad, en 2005, achève cette esquisse d’ouverture. En 2006, l’ONU adopte sa première résolution prévoyant des sanctions contre l’Iran. Cinq autres suivront. La rupture est consommée. L’arrivée au pouvoir de Barack Obama change la donne. Le nouveau président américain écrit au Guide suprême, Ali Khamenei, en mai 2009, et se dit ouvert à une relance du processus diplomatique. Mais son entourage est divisé, la secrétaire d’Etat, Hillary Clinton, est ouvertement sceptique. A l’été 2009, M. Obama franchit le pas : il propose aux Iraniens de leur livrer de l’uranium enrichi à
20% dont ils ont besoin pour leur centre de recherche médicale de Téhéran et qu’ils ne peuvent, à ce stade, pas encore produire. En échange, l’Iran doit remettre aux Occidentaux son stock d’une tonne d’uranium enrichi à 5%, soit assez pour se lancer dans la fabrication d’une arme nucléaire. Mais, là encore, l’initiative tourne court. En Iran, le Guide suprême redoute qu’un tel accord profite avant tout à son rival Ahmadinejad et torpille l’opération. Et aux Etats-Unis, les adversaires d’une telle mesure ont aussi donné de la voix. Depuis le lancement des premières négociations, il y a une constante. Quand l’Iran était disposé à négocier en 2003, les Etats-Unis ne l’étaient pas. Et inversement en 2009.
Il a fallu attendre l’élection surprise du président modéré iranien Hassan Rohani, en juin 2013, pour que la situation se débloque.
Le rebond
Il a fallu attendre l’élection surprise du président modéré iranien Hassan Rohani, en juin 2013, pour que la situation se débloque. A la fois par résignation et par réalisme. Après dix ans de face-à-face stérile, il n’y avait que des perdants. L’économie iranienne a été lourdement pénalisée par les sanctions, mais celles-ci n’ont pas réussi à freiner le développement du programme nucléaire iranien : le nombre de centrifugeuses dont dispose le pays a été multiplié par cent depuis 2003.
L’accord arraché à Genève le 24 novembre 2013, entre l’Iran et les pays du «P5 + 1», comprenant les cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU, plus l’Allemagne, a été un premier pas inédit vers un règlement. Il s’est traduit par un gel provisoire du programme nucléaire iranien et une levée partielle des sanctions internationales contre Téhéran. Le compromis conclu à Lausanne le 2 avril entre les mêmes protagonistes, est une étape cruciale vers un règlement définitif de ce contentieux qui ouvrirait la voie à une normalisation des relations avec l’Iran et aurait de profondes répercussions au Moyen-Orient. Mais pour en arriver là, il reste encore trois mois de négociations qui s’annoncent délicates.