Par Ali El Hadj Tahar
La libération de Rebrab a-t-elle un lien avec la volonté du pouvoir de donner des gages au Hirak, dont certaines parties ont posé la conditionnalité de libérer les prisonniers politiques ?
Si c’est le cas, il faut considérer que Rebrab est également un prisonnier politique en plus de l’affaire pour laquelle il a été condamné à 18 mois de prison dont 6 mois ferme et une amende de 1,3 milliards de dinars, en l’occurrence l’affaire EvCon . D’autre part, l’entreprise EvCon Industry, qui fait partie des 27 entreprises du groupe, a été condamnée à une amende de 2,7 milliards de dinars. Rebrab est ainsi libre, après avoir passé plus de huit mois en détention préventive pour « infraction à la réglementation des changes et des mouvements des capitaux de et vers l’étranger, surfacturation lors d’une opération d’importation et faux et usage de faux ».
Le patron de CeVital a donc purgé sa peine, en application du jugement émis à son encontre, ce qui écarte toute accusation de politisation de l’affaire. La fin de l’ancien pouvoir, dont l’avènement correspond à la démission de Bouteflika, a donc mis fin à la justice des coups de fil, quoique la complexité de la crise politique impose un regard plus clément de la question judiciaire. D’ailleurs, le président Tebboune a commencé à donner des assurances pour que le dialogue avance et que la confiance s’installe. C’est dans cette perspective que plus de 70 détenus ont été libérés. Car les autorités semblent considérer la normalisation de la situation comme un préalable pour le rétablissement de la confiance, gage de la légitimité nécessaire pour l’exercice du pouvoir, quoique le vote ait largement conforté celui-ci. Ainsi donc, l’administration ne semble plus vouloir prioriser le caractère juridique de la question des prisonniers, dont la libération est une conditionnalité d’une partie des éléments du Hirak post-Bouteflika. Le pouvoir répond donc à cette doléance, donnant un signal fort qui vise à détruire ce qui reste de l’argumentaire des adversaires du dialogue.
Dans certains cas, la situation exceptionnelle peut avoir interféré dans la décision des juges, et si cela s’est fait c’est parce qu’il y a une vraie volonté politique allant dans le sens de la concrétisation des revendications d’une justice indépendante. Il est cependant à espérer que cette parenthèse soit ponctuelle et non plus un moyen de pression du politique sur le judiciaire.
Travaillant sur la base de dossiers documentés parfois depuis plusieurs années, la justice a déféré devant les tribunaux plusieurs oligarques et hommes d’affaires liés à l’ancien clan présidentiel. Elle a jugé certains de ces justiciables, mais beaucoup d’autres sont encore en attente de jugement et ne tarderont pas de payer pour leurs crimes économiques. Dans ces affaires, qui ont détruit l’économie nationale et mise sous dépendance des containers d’importation, il est certain que nul ne pourra forcer la main aux magistrats. Si la justice est à la fois rigide et magnanime dans certaines questions, la fermeté est sa seule force dans les affaires des crimes économiques.
Plusieurs patrons s’enorgueillissent d’avoir amassé des fortunes sans créer ni valeur ajoutée, ni richesses, et encore moins fait preuve d’innovations, profitant des largesses d’un plan d’ajustement structurel qui a détruit l’économie nationale, qu’il était supposé sauver.
Rares sont les entrepreneurs qui font autre chose que mettre en boîte ou en bouteille des produits d’importation, chose que faisaient correctement autrefois les entreprises publiques tout en répondant au marché à des prix beaucoup plus abordables qu’aujourd’hui.
Les décisions de la justice doivent aller avec un correctif profond de notre économie, autrement les mêmes causes produiront les mêmes effets. Soit un système gangrené.
A. E. T.