De violents heurts ayant fait un mort et plus de 400 blessés secouent, depuis plusieurs jours, la métropole de Tripoli, dans le nord du Liban, où des manifestants dénoncent les répercussions économiques du confinement imposé pour endiguer la propagation du coronavirus. Quelles sont les causes de cette poussée de fièvre? Le pays, secoué à l’automne 2019 par un soulèvement antipouvoir, est-il au bord de l’implosion?
Combien de crises ?
Le Liban est englué dans sa pire crise économique depuis des décennies, avec une dépréciation inédite de sa monnaie, une hyperinflation, des licenciements massifs et des restrictions bancaires drastiques. Résultat, plus de la moitié de la population se retrouve sous le seuil de pauvreté, selon l’ONU, et la part vivant dans l’extrême pauvreté a explosé, passant de 8% à 23%. En 2020, le produit intérieur brut (PIB) a chuté de 25% et les prix ont bondi de 144%, selon le Fonds monétaire international (FMI). La livre libanaise a perdu plus de 80% de sa valeur face au dollar. En outre, les restrictions inédites sur les retraits et virements bancaires, en vigueur depuis l’automne 2019, empêchent les épargnants d’accéder librement à leurs dépôts en devises étrangères. Ils peuvent retirer en convertissant les montants en livres libanaises, à un taux extrêmement faible par rapport à celui du marché parallèle, car cela équivaut à une perte de facto «de plus de 50%», qui a surtout affecté les petits et moyens épargnants, rappelle l’économiste Jad Chaaban. Un plan de relance économique, annoncé en avril 2020, incluant une restructuration de la dette, parmi les plus élevée au monde par rapport au PIB, et du secteur bancaire, est resté lettre morte. Des négociations entamées avec le FMI pour une aide financière ont rapidement déraillé. L’explosion au port de Beyrouth le 4 août –imputée à la négligence des autorités et qui a fait plus de 200 morts– a été la tragédie de trop pour des Libanais éreintés, qui dénoncent l’inertie, la corruption et l’incompétence du pouvoir face à une avalanche de crises. Le pays est sans gouvernement depuis août, faute d’entente entre les principaux partis, malgré les pressions locales et internationales. Enfin, depuis fin décembre, le Liban connaît une propagation exponentielle du coronavirus.
Confinement: quel impact ?
Un premier confinement entre mars et juin 2019 a poussé près d’un Libanais sur trois au chômage, selon le Programme alimentaire mondial (PAM). Face à l’ampleur de la crise sanitaire, le gouvernement a imposé, depuis le 14 janvier un confinement strict, accompagné d’une fermeture des commerces, qui peuvent uniquement livrer à domicile. Pour sortir, les habitants doivent remplir des attestations autorisant les déplacements dans certains cas seulement. L’ONG Save the Children a mis en garde contre les retombées sociales des restrictions, dans un pays où les journaliers représentent environ la moitié de la population active, selon le ministère du Travail. L’organisation craint que «les familles vulnérables et leurs enfants» se retrouvent «livrés à eux-mêmes». La Banque mondiale a approuvé une aide d’urgence de 202 millions d’euros pour venir en aide à 786.000 Libanais. De leur côté, les autorités assurent distribuer 400.000 livres par mois (43 euros au marché noir) à 230.000 ménages défavorisés. Un montant jugé insuffisant et loin de couvrir tous les besoins: 75% des Libanais ont aujourd’hui besoin d’une assistance financière, selon le ministère des Affaires sociales.
Le pire à venir ?
Pour Jad Chaaban, la grogne sociale risque d’enfler. «Si l’impasse politique persiste, que les affrontements et incidents sécuritaires se poursuivent, le taux de change au marché noir risque de grimper jusqu’à 10.000 livres, voire plus, pour un dollar (contre 8.800 à l’heure actuelle, ndlr), ce qui ferait bondir les prix», explique-t-il. «À cela pourrait s’ajouter une levée des subventions –initialement programmée pour fin 2020– sur certaines denrées essentielles comme l’essence et les médicaments, ce qui aurait également des effets inflationnistes», ajoute l’économiste. Quant aux aides internationales, notamment celles du FMI, elles sont conditionnées à la mise en place de réformes, tributaires d’un gouvernement «crédible» qui n’a toujours pas vu le jour, poursuit M. Chaaban. Une évaluation qui fait craindre le pire, dans un contexte de mécontentement généralisé. «Ce qui s’est passé (…) n’est que le prélude à de plus grands mouvements», pronostiquait mardi un militant de Tripoli.