Une des grandes aberrations de la crise en Libye c’est de trouver à son chevet ceux-là même qui ont été à sa source. Les quatre responsables libyens qui se sont engagés à travailler ensemble, pour que les élections législatives et la présidentielle se tiennent le 10 décembre, ont-ils les coudées franches ?
Obéissent-ils à des pressions ? Arriveront-ils à gagner la bataille contre les groupes djihadistes et les milices armées ? Ceux qui ont les cartes sur le terrain cautionnent-ils cet engagement? Telles sont les questions qui se posent au fil de l’analyse au lendemain de la Conférence de Paris, qui, hormis son caractère de brillance et de puissance, ne répond pas à toutes les questions, et peut, l’avenir le dira, prendre eaux de toutes parts. De toute évidence, l’engagement pris à l’Elysée, devant 20 pays, dont l’Algérie, et quatre organisations internationales (ONU, Union européenne, Union africaine et Ligue arabe), par le président du Conseil présidentiel du gouvernement d’entente nationale de Libye, Fayez El-Sarraj, le maréchal Khalifa Haftar, chef de l’Armée nationale libyenne, du président du Haut Conseil d’État libyen, Khaled El-Mechri, et du président de la Chambre des représentants, Aguila Salah Issa, est important, mais sur le terrain tout peut les désunir. Qu’on en juge : outre l’Algérie, les pays présents à cette rencontre sont : la France, les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Allemagne, les Pays-Bas, la Turquie, l’Italie, Malte, la Chine, la Tunisie, le Maroc, l’Égypte, le Qatar, les Émirats arabe unis, l’Arabie saoudite, le Koweït, le Niger, le Tchad et le Congo (représentant de l’UA). Or tous ces pays n’ont pas les mêmes vues sur la Libye, ni les mêmes atouts, ni les mêmes objectifs. Chaque puissance tire les ficelles de la manière qui l’arrange le mieux pour y poser pied.
Jeu de stratégies
Les puissances occidentales jouent leur influence, l’Italie et la France en premier lieu, l’Italie surtout, pour la proximité et le passé colonial ; le Qatar, les Émirats arabe unis, l’Arabie saoudite et le Koweït, leur influence, puisque chacun de ces quatre pays musulmans wahhabite constitue un fief pour les leaders islamistes de la crise en Libye ; Pour le Maroc, il s’agit de contourner la seule solution algérienne et d’être présent dans l’échiquier de la négociation, ce qui lui permettra d’avoir des visées plus amples pour le Sahel ; Pour les États- Unis, la sous-traitance permettra de garder les objectifs cachés et de les atteindre sans avoir l’air d’y toucher. Le pétrole libyen constitue un objectif pour beaucoup d’entre eux, mais la position géostratégique de Tripoli, entre l’Afrique et l’Europe, comptera beaucoup dans les prises de décisions à venir.
Il y a deux années, c’était l’Algérie qui s’occupait, seule, de trouver la solution en Libye, et beaucoup de pas avaient été faits en ce sens, avant que Haftar, dont les attaches avec la Russie, les États-Unis, l’Arabie saoudite et l’Égypte l’avaient mis sur orbite, avait fait échouer le projet, par son rejet de faire participer à la négociation des acteurs islamistes majeurs, tels Abdelhakim Belhadj.
La confiance n’est pas encore au rendez-vous
Noyée dans la masse des pays «candidats» à l’intercession, l’Algérie s’est finalement mise sous l’égide de l’ONU et a fait actionner son savoir-faire diplomatique et sécuritaire. Aujourd’hui, son projet est intégré dans la feuille de route onusienne, mais risque d’être noyé dans la masse des intérêts contraires. La solution de l’Algérie a été constante et simple à la fois. Elle se résumait en une solution inclusive, c’est-à-dire devant réunir les principaux belligérants de la crise en Libye, y compris Fadjr Libia et Abdelhakim Belhadj, que le maréchal Haftar refusait. Aujourd’hui, en Libye, une large frange de la population, et non pas uniquement les loyalistes et le Fezzan, propose Seïf al-Islam, le fils de Kadafi, à la tête de l’État. Or les États occidentaux se mettront toujours en travers de cette solution, d’où les paramètres d’échec de la présente feuille de route qui devraient être pris en ligne de compte.
L’initiative du président français Macron semble audacieuse mais risquée, car elle donne un semblant de légitimité à trois acteurs libyens qui ne possède aucune légitimité politique. À l’intérieur de la Libye, trois des pré-signataires du traité sont perçus comme responsables du blocage et de la situation actuelle. D’ailleurs, eux-mêmes en sont conscients ; puisqu’ils n’ont pas signé l’accord et, comme espéré, souhaitant d’abord le soumettre à ceux qu’ils représentent en Libye. Ce signe de manque de confiance est déjà très instructif sur l’avenir des choses en Libye. D’où l’intérêt pour l’Algérie de garder ses cartes en main, en vue d’une prochaine intercession en cercle plus réduit.
F.O.