Depuis deux jours, la bande de Ghaza vit une coupure quasi totale des services de télécommunications et d’Internet dans la ville de Ghaza et le nord de l’enclave. Ce black-out numérique, causé par la destruction d’un des principaux circuits de connexion, intervient alors même que la région est la cible de bombardements intenses de l’aviation israélienne.
Selon les autorités palestiniennes des télécommunications, l’interruption des connexions est due à « une coupure sur l’un des trajets principaux dans le secteur ». Cette mise hors service des moyens de communication complique considérablement les efforts de secours et d’information alors que les bombardements s’intensifient, notamment à Jabaliya, où l’armée israélienne a ordonné l’évacuation de plusieurs zones qualifiées de «zones de combat dangereuses». Les scènes de chaos se multiplient aux abords des centres de distribution d’aide. Dans la nuit de mardi à mercredi, l’aviation israélienne a intensifié ses frappes sur des zones densément peuplées, touchant des rassemblements de déplacés palestiniens venus chercher vivres et assistance. Près du centre de distribution du quartier Netzarim, à l’ouest de Ghaza, 25 civils ont été tués alors qu’ils attendaient une aide humanitaire. À l’hôpital Al-Awda, au centre de l’enclave, on a recensé 4 morts et plus de 90 blessés, tous victimes de frappes ciblant directement des civils alignés sur la route Salah al-Din. Dans le nord de Ghaza, quatre jeunes ont péri et d’autres ont été blessés lors d’une frappe à proximité de l’école Oussama Ben Zayd, dans le quartier de Saftawi. À Sabra, au cœur de Ghaza, un raid aérien a de nouveau semé la terreur. À l’est du camp de Bureij, des drones ont tiré sur des civils rassemblés à l’entrée de la ville, blessant gravement plusieurs d’entre eux. Dans le sud, à Khan Younès, des tirs d’artillerie ont visé la zone de Batin al-Samin, causant des blessés. Quatre personnes ont également été tuées dans une tente à Muwassi al-Qarara, à l’ouest de la ville. À Abasan al-Kabira, un corps sans vie a été extrait des décombres. Rafah, elle aussi, a été touchée : neuf Palestiniens ont été tués aux abords d’un point de distribution d’aide. Ces nouvelles pertes viennent s’ajouter aux plus de 47 morts enregistrés hier, selon les bilans provisoires.
Un système de santé à l’agonie
Face à cette catastrophe humanitaire, le système de santé est au bord de l’effondrement. Le ministère de la Santé de Ghaza tire la sonnette d’alarme : des centaines de blessés et de malades ne peuvent plus recevoir de soins en raison de la saturation des établissements et de l’épuisement des ressources médicales. « Les hôpitaux de la région nord sont complètement hors service, et ceux qui restent opérationnels sont menacés d’un effondrement total », indique un communiqué. L’empêchement prolongé d’acheminer des fournitures médicales de première nécessité aggrave la situation. La densité de blessés, les infrastructures détruites et l’absence d’électricité font craindre le pire.
Famine imminente : l’ONU alerte
Le Programme alimentaire mondial (PAM) alerte sur un «risque élevé de famine» à Ghaza. Depuis la reprise partielle des livraisons humanitaires le 19 mai, seuls 700 camions ont pu entrer dans l’enclave, contre une moyenne de 600 à 700 par jour avant la dernière escalade. Le PAM souligne que l’accès à l’aide est conditionné à « des routes sûres pour les convois, des autorisations rapides et l’ouverture des points de passage ». Plus de deux millions de personnes sont désormais poussées au désespoir. Le Bureau de coordination des affaires humanitaires de l’ONU (OCHA) parle d’un « effondrement généralisé des moyens de survie ». L’UNRWA, de son côté, prévient que la crise humanitaire est hors de contrôle. Le 20 mai dernier, la Cour pénale internationale a annoncé sa volonté de délivrer des mandats d’arrêt contre Benjamin Netanyahou et Yoav Gallant pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité. Ils sont accusés, entre autres, d’avoir utilisé la famine comme arme de guerre, ciblé délibérément des civils et orchestré des actes d’extermination. Cette décision, saluée par de nombreuses capitales, renforce les appels à la levée du blocus de Ghaza, à la protection des civils et à la responsabilisation des auteurs de ces crimes.
Échec patent de la distribution des aides
Un rapport du Wall Street Journal détaille les défaillances du dispositif de distribution humanitaire mis en place par la “Gaza Humanitarian Foundation”, une organisation américaine fondée en février dernier. L’article dénonce une « vague de morts » provoquée par l’amateurisme et le manque de coordination entre les forces israéliennes et les contractants de sécurité américains. L’initiative devait ouvrir trois centres dans le sud de Ghaza et un au centre. Mais en réalité, un seul centre est parfois opérationnel — et ce, pour moins d’une heure. Des témoignages décrivent des files d’attente interminables, des distributions annulées à la dernière minute, et surtout des tirs à balles réelles contre des civils affamés. « Parfois, ils nous disent de rentrer chez nous, puis deux heures plus tard ils rouvrent », témoigne un survivant. Depuis le lancement du dispositif, plus de 100 Palestiniens ont été tués aux abords de ces centres, selon les autorités de Ghaza. L’armée israélienne évoque des « déviations de parcours » pour justifier l’usage de la force.
Une stratégie défaillante et politisée
Le Wall Street Journal pointe également l’absence totale de neutralité de cette initiative. Le directeur de la fondation a récemment démissionné, dénonçant des pratiques contraires à l’éthique humanitaire. L’entreprise de conseil « Boston Group » s’est retirée du projet après une enquête interne. Et les principales ONG refusent désormais d’y participer, jugeant que l’initiative met les civils en danger. Israël accuse la résistance palestinienne d’entraver l’aide humanitaire, ce que cette dernière dément catégoriquement. En réalité, ce sont les tirs, la peur et le chaos qui empêchent l’accès à une assistance vitale. Tandis que les bombardements se poursuivent et que Ghaza reste coupée du monde, des milliers de familles dorment à la belle étoile près des ronds-points de Naplouse et Netzarim, espérant recevoir quelques vivres. Chaque jour, de nouvelles victimes viennent s’ajouter à la liste interminable des martyrs d’un conflit que les grandes puissances peinent à enrayer. La coupure des communications, la famine organisée, les bombardements ciblés contre des civils et la désintégration du système de santé ne laissent plus de place au doute : la bande de Ghaza vit une tragédie humanitaire et politique d’une ampleur inédite. Les appels au cessez-le-feu, à l’ouverture des couloirs humanitaires et à la levée du blocus doivent désormais se transformer en actions concrètes. Sinon, c’est tout un peuple que la communauté internationale aura laissé mourir en silence.
M. Seghilani