Malgré un tourisme en berne, les autorités égyptiennes misent sur les grands projets pour valoriser leur patrimoine. Abou Simbel (Égypte), 23 octobre, à l’aube. Quelques centaines de personnes se sont massées devant le plus grand des deux temples érigés par le pharaon Ramsès II, au XIIIe siècle avant notre ère. Soudain, au lever du soleil, les rayons viennent frapper directement la statue du souverain, dans la chapelle intérieure, au bout d’une majestueuse enfilade de colonnes. Un phénomène grandiose qui ne se produit que deux fois par an, l’autre date étant le 23 février.
Les touristes boudent les pyramides
Il y a quelques années, la foule aurait été bien plus dense. « En 2010, il y avait près de 2 500 personnes pour venir vivre ce moment unique, dont beaucoup de touristes étrangers, constate Elhamy Elzayat, président de la Fédération égyptienne du tourisme. Aujourd’hui, il y avait surtout des Égyptiens. »
En effet, depuis le Printemps arabe, les touristes boudent les pyramides et les splendeurs de la vallée du Nil. L’Égypte a accueilli 8,8 millions de visiteurs cette année, contre 44 millions il y a cinq ans. Les Français, autrefois grands consommateurs de croisières sur le Nil, sont l’une des principales sources de l’hémorragie : alors que les agences de voyages hexagonales vendaient 500 000 séjours par an en 2010, elles sont aujourd’hui à moins de 20 000… En cause, les inquiétudes face à la sécurité du pays. Le Sinaï, théâtre d’affrontements entre cellules terroristes et autorités égyptiennes, est classé zone rouge par le Quai d’Orsay. Samedi 24 octobre, une bombe artisanale était désamorcée près d’un hôtel de Gizeh, faisant quatre blessés (deux policiers et deux membres du personnel de sécurité de l’hôtel). « On ne peut pas écarter à 100 % le risque d’attentat, mais c’est également le cas en France, tempère Philippe Folliot, député du Tarn, secrétaire de la commission de la défense nationale et des forces armées, et également président du groupe d’amitié France-Égypte. Il est vital que l’Égypte reste un pôle de stabilité dans la région. Pour ne pas sombrer dans le chaos à l’instar de la Lybie ou de la Syrie, elle a besoin que son économie se stabilise. » Or un tiers du PIB égyptien dépend du tourisme. Aujourd’hui, les entrées des musées ne permettent de payer qu’un quart seulement des salaires des fonctionnaires du ministère des Antiquités, dramatiquement déficitaire. « Visiter l’Égypte est un acte citoyen, renchérit Richard Soubielle, vice-président du SNAV (organisation nationale des professionnels du voyage). Sinon, la désespérance pourrait s’installer, faisant du pays une proie facile pour tous les extrémismes. » Et de promettre : « Nous, professionnels du tourisme, connaissons bien la réalité du terrain, et sommes convaincus que les touristes ne devraient pas craindre de revenir. »
Deux missions qui font rêver
Et l’Égypte veut y croire. Le gouvernement d’Abdel Fattah al-Sissi mise sur son patrimoine unique, multipliant les grands projets. Deux immenses musées sont en cours de construction. Conçus sous l’ère Moubarak, les chantiers ont été relancés par le pouvoir actuel. Le National Museum of Egyptian Civilization (NMEC) s’étendra sur 135 000 mètres carrés. Initié en 1982, il devait être inauguré en 2011. La révolution en a décidé autrement. À l’heure actuelle, les infrastructures sont presque prêtes, mais le musée est vide. L’ouverture est cependant prévue pour 2018. « On y trouvera toute les civilisations égyptiennes : nubiennes, coptes, romaines, islamiques… » précise son directeur, Khaled El-Enany. Il devrait, notamment accueillir les momies royales, aujourd’hui conservées au musée du Caire.
2018, c’est aussi la date annoncée pour l’inauguration de la première section du Grand Egyptian Museum (GEM). Cet autre projet pharaonique, encore en chantier, s’élèvera à Gizeh sur trois niveaux, et devrait présenter 150 000 objets, dont 30 000 jamais montrés au public… « Ce sera un nouveau chef-d’œuvre architectural face aux pyramides antiques, lance Tarek Sayed Tawfik, directeur du lieu. Je fais le pari qu’une grande partie des visiteurs viendra aussi pour voir le monument, pas seulement pour ses œuvres. Ce musée doit être un générateur de tourisme. » Les collections liées à Toutankhamon, ce pharaon mort à 19 ans et demeuré célèbre non pour son bref règne, mais pour les fastes de sa sépulture, devraient y être présentées pour la première fois dans leur intégralité. Objectif annoncé : 5 millions de visiteurs par an. L’historique musée du Caire, quant à lui, situé place Tahrir, devrait conserver la statuaire, et faire l’objet d’une rénovation. Sans perdre son âme, assure Khaled El-Enany, qui en est également le directeur.
« Je veux faire revivre le musée tel qu’en lui-même, le rénover en lui conservant son charme ancien », promet l’égyptologue. Reste à trouver l’argent pour mener ces trois chantiers à leur terme, quand le coût du seul GEM est de 1,1 milliard de dollars. « Il aurait fallu terminer le NMEC avant de s’occuper d’un autre grand musée », regrette Khaled El-Enany. Les autorités viennent aussi d’autoriser deux missions scientifiques internationales, propres à faire rêver tous les amateurs de hiéroglyphes: le scan de la tombe de Toutankhamon où l’archéologue britannique Nicholas Reeves espère trouver la tombe de la légendaire reine Néfertiti, et celui des grandes pyramides afin de percer, peut-être, les mystères de leur construction. Pour que l’Égypte éternelle vienne au secours de celle d’aujourd’hui…