Dans une longue interview (tirée sur trois pages) accordée au journal français L’Opinion, le président Abdelmadjid Tebboune, a brassé large sur de la crise algéro-française. Un dossier qui s’est taillé 2/3 d’une interview étoffée de 23 questions. Dans ses réponses percutantes, on a décelé chez le Président beaucoup d’assurance comme état d’esprit qui en dit long sur sa position confortable et, partant, celle de l’Algérie vis-à-vis de la France de Macron, qu’il met en garde contre des agissements qui aboutirait à une rupture « irréparable ».
Interrogé sur la crise avec la France, le président a décrit « un climat délétère », faisant remarquer que « nous perdons du temps avec le président Macron », en ce qui concerne notamment le dossier de la Mémoire et de l’Histoire commune. Mais, « plus rien n’avance si ce n’est les relations commerciales. Le dialogue politique est quasiment interrompu », affirmé le Président, qui a dénoncé les « déclarations hostiles tous les jours de politiques français comme celles du député de Nice, Eric Ciotti, qui qualifie l’Algérie d’« Etat voyou » ou du petit jeune du Rassemblement national [Jordan Bardella] qui parle de « régime hostile et provocateur ». Par ailleurs, le Président a précisé qu’il « distingue la majorité des Français de la minorité de ses forces rétrogrades » et dit « ne jamais insulter la France ».
Interrogésur l’origine de la crise qui remonte à la reconnaissance par le président français de la « marocanité » du Sahara occidental, le président Tebboune a révélé qu’il avait prévenu, en marge du Sommet du G7 à Bari, lors d’un échange qui a duré 2 heures 30, son homologue français, que s’il venait à soutenir le plan d’autonomie marocain, il va perdre l’Algérie. « Vous faites une grave erreur ! Vous n’allez rien gagner et vous allez nous perdre », lui a alors dit Tebboune, lui rappelant que son pays, la France, est un membre permanent du Conseil de sécurité, donc « protecteur de la légalité internationale, alors que le Sahara occidental est un dossier de décolonisation pour l’ONU qui n’a toujours pas été réglé. »
Sur l’affaire de l’influenceur « Doualemn », le Président a affirmé « ne pas vouloir imposer à la France des Algériens en situation irrégulière », tout en indiquant en revanche avoir « accordé 1 800 laissez-passer consulaires l’année dernière », et ce contrairement aux allégations de ministres du Gouvernement. Comme celui de l’Intérieur, Bruno Retailleau, dont l’attitude, les déclarations et la démarche sont hostiles à l’Algérie. Interrogé sur l’accord de 1968, le président Tebboune a qualifié le texte de « coquille vide » qui a fait rallier « tous les extrémistes », notamment le camp de l’extrême droite qui a mené une campagne contre l’Algérie, la comparant au « temps de Pierre Poujade. »
« L’affaire Sansal n’a pas livré tous ses secrets »
Sur l’affaire de l’écrivain Boualem Sansal, le président Tebboune a mis les points sur les « i ». Il a affirmé que « Boualem Sansal n’est pas un problème algérien. C’est un problème pour ceux qui l’ont créé. Jusqu’à présent, il n’a pas livré tous ses secrets. » Il a ensuite ajouté que « C’est une affaire scabreuse visant à mobiliser contre l’Algérie. Boualem Sansal est allé dîner chez Xavier Driencourt, l’ancien ambassadeur de France à Alger, juste avant son départ à Alger. Ce dernier est lui-même proche de Bruno Retailleau qu’il devait revoir à son retour. D’autres cas de binationaux n’ont pas soulevé autant de solidarité. Et enfin, Sansal n’est français que depuis cinq mois… »
Au journal qui insiste, Tebboune rappel les quatres vérités. « Boualem Sansal est d’abord algérien depuis soixante-quatorze ans. Il a eu un poste de direction au ministère de l’Industrie. C’est un retraité algérien. Le Parlement européen a adopté une résolution pour sa libération. Mais les parlements panafricain, arabe et islamique se sont montrés solidaires avec l’Algérie. », a-t-il cadré le débat sur cette affaire, précisant que celui-ci « est sous mandat de dépôt. C’est la loi algérienne. Il a eu un check-up complet à l’hôpital, il est pris en charge par des médecins et sera jugé dans le temps judiciaire imparti. Il peut téléphoner régulièrement à sa femme et à sa fille. »
Par ailleurs, à propos des allégations françaises sur les « factures non payées » dans les hôpitaux français, le Président a révélé que « cela fait trois ans que l’on attend une réunion avec les hôpitaux de Paris pour lever ce contentieux qu’on estime à 2,5 millions d’euros, bien loin des chiffres avancés dans la presse française. » Mais rien n’y fait ! Il a ensuite indiqué que l’Algérie a pris la résolution « de ne plus envoyer nos malades en France. » qu’ils vont dans d’autres pays comme l’Italie, la Belgique ou encore la Turquie.
A propos des dispositions de l’Algérie au dialogue avec la France, le président Tebboune n’a pas fermé la porte, mais que le « premier pas » doit émaner de la partie française sachant qu’elle était à l’origine du problème en plus d’en rajouter couche sur couche avec la campagne anti-algérienne orchestrée à partir de l’Hexagone. Pour le Président, la balle est désormais dans le camp de l’Élysée. « Tout à fait. Ce n’est pas à moi de les faire. Pour moi, la République française, c’est d’abord son président. Il y a des intellectuels et des hommes politiques que nous respectons en France comme Jean-Pierre Chevènement, Jean-Pierre Raffarin, Ségolène Royal et Dominique de Villepin, qui a bonne presse dans tout le monde arabe, parce qu’il représente une certaine France qui avait son poids. Il faut aussi qu’ils puissent s’exprimer », a répondu le Président.
L’affaire d’espionnage de la DGSE
Pour ce qui est de la visite à Alger, le 13 janvier dernier, du patron de la DGSE, le Président a précisé « a demandé à être reçu. Nous avons accepté car nous avions confiance en lui quand il dirigeait la DGSI (NDLR : avant sa nomination à la DGSE). L’affaire « Abou Rayan » est un épiphénomène. Elle n’est pas de nature à faire l’objet d’un contentieux entre deux puissances, l’une européenne, l’autre africaine. Cela a fait la une des journaux en Algérie… « Abou Rayan » est un repenti qui nous a informés de la démarche de recrutement français et de ses rencontres à l’ambassade de France à Alger par un responsable de la DGSE. La presse a divulgué cette histoire à un moment où les relations sont à un point critique. »
Le Président a ensuite précisé, cependant, que « la France a essayé de le recruter sur notre sol sans nous prévenir. Nous avons été vigilants comme la France l’est sur son territoire. » Par ailleurs, il a fait remarquer que « la DGSI est aujourd’hui sous la tutelle du ministre l’Intérieur ». Donc, « Tout ce qui est « Retailleau » est douteux compte tenu de ses déclarations hostiles et incendiaires envers notre pays. Il n’y a donc plus de coopération, à l’inverse de la DGSE [NDLR : sous la tutelle du ministère des Armées) qui a su garder ses distances. »
Farid Guellil