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LE PR. M’HAND BERKOUK, EXPERT INTERNATIONAL EN QUESTIONS GÉOSTRATÉGIQUES ET SÉCURITAIRES : « Les principaux acteurs en Libye conservent leurs allégeances avec les puissances étrangères »

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Invité au Forum du Courrier d’Algérie, hier, pour aborder la crise en Libye et le rôle de la médiation de l’Algérie, l’expert international en questions géostratégiques et sécuritaires, le Professeur Berkouk M’Hand, a affirmé que « la crise libyenne est en pleine période de complexification» due, a-t-il indiqué, au « nombre de facteurs endogènes et exogènes ». Pour cet expert, la seule approche, à même de mener la Libye et son peuple vers le règlement effectif de cette crise, est celle développée par l’Algérie, d’autant plus que la gestion de cette crise domine les différentes approches des acteurs étrangers, dans la région notamment, et influents sur la scène libyenne.
Sans manquer de rappeler le point de départ, à l’origine de la situation chaotique et l’absence de vie politico-institutionnelle et la propagation de la violence chez notre voisin de l’Est, depuis notamment l’avènement de la crise dans ce pays, en 2011, qui s’est précipitamment développée pour engendrer l’intervention de l’Otan, la multiplication des agendas d’acteurs étrangers ont et continuent de compliquer la voie de sortie de la Libye de la spirale de conflits, dans lesquels elle a été plongée depuis près de 9 ans. C’est par une analyse « académique » sur la crise en Libye, comme tenait à le préciser le professeur, que le conférencier a mis en avant les données et les éléments montrant la complexité de la situation et la crise dans ce pays.
S’agissant des facteurs exogènes qui font que la crise libyenne est en pleine période de complexification, dont il a fait part auparavant, l’expert Berkouk indique que «les principaux acteurs en Libye conservent leurs allégeances avec les puissances étrangères», antérieurs à l’accord de décembre 2015, instituant, a-t-il poursuivi, «les institutions de transition et en cultivant d’autres selon des logiques utilitaires» qui reflètent, explique-t-il encore, «les positions et positionnements par rapport aux différentes questions géopolitiques et géoéconomiques régionales».
Suivant de près et scrutant la scène libyenne, plus particulièrement dès l’avènement de la crise dans ce pays en 2011, anticipant sur la suite du cours des évènements depuis lors à ce jour, le conférencier n’a pas manqué de relever que cette situation s’inscrit dans le sillage des mutations de l’ordre mondial et la reconfiguration de la carte géographique. Des approches fondées à partir de scénarios élaborés par des acteurs puissants, dont celui du «chaos constructif» évoqué, par l’ex-responsable américaine Condoleezza Rice, ou bien celui ayant trait à la création d’opportunités, notamment «par des tensions et conflits pour un meilleur redéploiement». Une démarche en vue de «préférer l’ingérence pour mieux en profiter», selon l’expression de l’invité du Forum.
Plus explicite sur les facteurs de complexité de la situation et de la crise libyennes, notre interlocuteur a mis l’accent sur la difficulté de la violence dans ce pays qui « s’est davantage accentuée par le recours des belligérants aux mercenaires » ainsi que le déferlement des armes dans ce pays , malgré l’embargo imposé par la résolution 1970 (mars 2011) du Conseil de sécurité des Nations unies (ONU), des armes qui continuent «d’être livrées aux deux camps même avec des armes légères et tactiques ». Une question qui, faut-il le souligner, ne cesse d’être soulevée par le Comité de paix et de sécurité de l’Union africaine (UA), voire même du SG de l’ONU, appelant, l’un et l’autre, le Conseil de sécurité de procéder à l’adoption d’une résolution contraignante à l’encontre d’acteurs et pays étrangers violant l’embargo.
S’agissant du processus en cours de règlement de la crise dans ce pays, initié depuis le 19 janvier dernier, à l’issue de la Conférence de Berlin, il pourrait, selon l’expert international en questions géostratégiques et sécuritaires, «constituer un point de départ pour la médiation internationale». Celle-ci devant se centrer sur un rôle de médiation pour un dialogue inter-libyen, avec, souligne le conférencier, la participation «des pays voisins et du quartet «ONU-UA-Ligue arabe-UE» avec la promulgation, par le Conseil de sécurité, tient-il à préciser, de nouvelles résolutions sur l’embargo des armes, sanctions contre les acteurs libyens ou étrangers, « entravant le processus de résolution du conflit » dans ce pays.

La scène libyenne, théâtre de conflits et divergences entre acteurs internationaux
Après avoir fait un bref rappel sur le processus d’édification de la Jamahiriya Libyenne, l’éclatement de ce pays dès 2011 suivi de l’intervention de l’Otan, en l’absence d’un Schéma post-ingérence étrangère, le blocage politique a contribué fortement « au retour de référents post-Etat», a précisé le conférencier. Un retour que, s’il a aidé à la difficulté du retour des libyens à la vie politico-institutionnelle, les ingérences étrangères ont de leur côté joué un rôle plus déterminant à nourrir les divergences et les différends, sur fond de leurs intérêts au détriment de ceux du peuple libyen. Plus loin dans son intervention, Pr. Berkouk, tout en affirmant qu’il ne peut y avoir une solution à la situation critique et gravissime à laquelle sont confrontés le peuple libyen et son pays, en dehors de la scène libyenne, a exclu toute solution durable à la crise libyenne émanant de l’extérieur, déclarant «pas possible une solution extérieure à la Libye».
S’agissant des acteurs étrangers influents sur la scène, ces derniers manifestent leurs divergences, tensions, conflits d’intérêts et voire même leurs différents idéologiques, à travers leurs soutiens aux belligérants dans la crise libyenne. Situation qui, non seulement rend complexe le traitement et le règlement de la crise dans ce pays, dont le processus de la transformation de la trêve exigée, lors de la conférence de Berlin, en un cessez-le-feu n’est pas seulement en cours, mais demeure fragile.
Ne manquant pas de relever qu’en plus du jeu et du rôle d’acteurs et de pays étrangers visibles et connus, sur la scène libyenne, dont la Turquie, France, Émirats arabes unis, Qatar, Italie, Égypte, ou bien celui de l’Arabie saoudite, le rôle de l’entité sioniste est certes moins visible, notamment dans les médias, alors qu’il est bien là, et les déplacements du Premier ministre dans certains pays d’Afrique, et ses rencontres avec certains de leurs responsables, dont dernièrement avec le président du Conseil souverain soudanais, Abdel Fattah Bourhane. Pays qui, faut –il le rappeler, partagent des frontières avec la Libye et des informations font état d’envoi de Soudanais dans de nouvelles zones de guerres et de tensions, dont la Libye.
Des rapports et des articles de médias font état de ce qu’on nomme la grande diagonale qui part de la Libye à l’Égypte en passant par le Soudan jusqu’au Yémen, où il semblerait que «Abu Dhabi s’essaie à sur-jouer de son pouvoir sur place pour déplacer des pions d’un pays à l’autre» et réussir coûte que coûte, selon des experts « à la mise en place de la stratégie du nouveau Moyen-Orient… » Pour l’invité de notre Forum, il est impératif de ne pas perdre de vue la portée des ingérences étrangères en Libye, qui se sont exacerbées ces derniers mois, notamment depuis avril dernier, avec l’offensive militaire du maréchal Khalifa Haftar contre la capitale Tripoli, sous contrôle du Gouvernement d’Union nationale, dirigé par Fayez El-Serraj. Un développement accéléré des combats militaires entre les belligérants qui n’a pas été à ce stade dans l’intérêt des acteurs étrangers soutenant l’une ou l’autre partie et aussi sans conséquences gravissimes sur la paix et la sécurité dans le monde. « Affaiblir les tensions du conflit » semble être le mode d’emploi des puissances de ce monde, dont les pays membres de l’Otan qui, partenaires au sein de l’alliance atlantique, soutiennent l’un ou l’autre belligérants de la crise ou bien « le conflit libyen » comme préfère le souligner le conférencier, le Pr Berkouk.
C’est ce qui l’amène à affirmer que si les Libyens ne vont pas sur la voie de solution via un processus politique, à même d’assurer le dépassement des divergences en vue de voir le pays à renouer avec la vie politico-institutionnelle, épargnant ainsi au peuple libyen le désastre et le point de non-retour, l’invité du Forum a insisté sur le fait que la « solution ne peut être le produit d’acteurs étrangers » et les libyens doivent faire preuve d’une réelle volonté politique pour s’assurer une sortie de la spirale chaotique dans laquelle est plongé le pays depuis 2011.

Redéploiement des terroristes vers la Libye : une menace pour l’ensemble de la région
En se référant au nombreux rapports d’organismes internationaux et les déclarations d’alertes de hauts responsables, au niveau régional, continental et international, sur le retour ou le redéploiement vers la Libye des terroristes en déperdition en Syrie, le conférencier a longuement

expliqué les raisons et les aboutissants de cette démarche de certains acteurs internationaux. Alors que dès le basculement de la Libye, en 2011, dans l’instabilité, une des premières conséquences est la dégradation de la situation sécuritaire au nord du Mali, suivie de l’intervention militaire française dans ce pays, ouvrir un nouveau front de guerre et de conflits en Libye, conduira inévitablement « à une situation dangereuse » sur l’ensemble de la région, aux conséquences gravissimes sur notre pays, a tenu à souligner l’expert international. Rappelant l’éventuel retour de 6 000 terroristes en Libye, dont a fait part le Commissaire de la Paix et de la Sécurité de l’UA, Smail Chergui, en 2017, et que depuis ce chiffre n’a cessé d’enregistrer une hausse, accélérée, notamment par la défaite de milliers d’autres en Syrie, le conférencier avertit quant « à l’afflux de terroristes étrangers » en Libye. Pour cause, «sachant que toutes les études sur le terrorisme post- Syrie évoquent un redéploiement de plusieurs milliers de combattants étrangers et de quelques centaines de combattants syriens engagés en Libye», l’invité du Forum dira que « la transformation en front de terrorisme sera une source de déstabilisation de tout le continent ». Poursuivant, il met en garde contre « la jonction entre les groupes terroristes de la Corne d’Afrique, de l’Afrique de l’Ouest en passant par ceux du Sahel » qui sera, at-il affirmé, « catastrophique d’abord pour une dizaine de pays concernés par cette bande qui traverse le continent, mais aussi pour de nombreux autres États ». La multiplication de schémas étrangers sur la scène libyenne depuis 2011, en l’absence d’institutions, et durant des années, beaucoup d’intérêts étrangers s’affrontent sur le terrain libyen. Ce qui rend, certes, difficiles les efforts allant dans le sens de résoudre la crise dans ce pays, d’où l’impératif rôle que devra jouer l’institution africaine (UA), des pays voisins, à leur tête l’Algérie, et de surcroît le Conseil de sécurité de l’ONU, notamment à imposer, par l’adoption d’une résolution, le cessez-le-feu et l’embargo sur les armes, en inscrivant le recours à des sanctions contre quiconque qui optera pour la violation des décisions onusiennes. Le rôle des pays voisins et du quartet «ONU-UA-Ligue Arabe-UE » Affirmant, dans son intervention hier, que la crise libyenne «reste la plus grave de par ses acteurs», citant la présence étrangère, les groupes terroristes et la profusion d’armes, l’invité du Forum ira jusqu’à dire que « les pays voisins doivent avoir peur ». Une alerte qui devrait inciter à davantage d’efforts et d’avancées concrètes du processus politique de règlement de la crise libyenne, via un dialogue inter-libyen, à l’abri des interférences étrangères, pour éviter les couacs de l’accord de Skhiret de 2015. Pour notre interlocuteur, l’Union africaine doit jouer un rôle premier, car il s’agit d’un problème africain et de rappeler que « l’architecture de la paix et la sécurité de l’UA est élaborée pour aider à la stabilité durable de ses États membres ». Aussi pour l’expert international en questions géostratégiques et sécuritaires, le rôle de la Ligue arabe est tout aussi important, puisqu’il est question d’un pays membre de cette organisation, et que cette organisation compte aussi des pays membres voisins à la Libye, en plus du rôle de l’UE, et bien sûr celui de l’ONU, qui devrait être, selon le Pr Berkouk, « plus responsable » en matière de la préservation de la paix et de la sécurité dans le monde.

Karima Bennour

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