Accueil Culture+ L’AUTEUR SE CONFIE AU COURRIER D’ALGÉRIE : « J’ai pris une belle revanche sur...

L’AUTEUR SE CONFIE AU COURRIER D’ALGÉRIE : « J’ai pris une belle revanche sur la vie »

0

Le Courrier d’Algérie : Tout d’abord, félicitations pour la sortie de votre livre. Orphelin de père et de mère, la vie était cruelle avec le petit enfant que vous étiez. L’écriture de ce récit autobiographique vous a-t-elle délivré des ressentiments éprouvés ? 

Mohammed Saïd Idiri : Tout d’abord, permettez-moi de vous remercier de m’avoir accordé cet entretien afin de débattre de mon livre intitulé « Destin d’un orphelin ».
Pour les ressentiments que j’ai éprouvés, ils sont plusieurs. D’abord notre départ de la maison paternelle de Tikobain vers le domicile de mes oncles maternels à Azra après la mort de mon père malgré mon jeune âge (à peine 5 ans). On est contraint de quitter les lieux en laissant derrière nous un pan de notre vie sociale et familiale. Ensuite, la séparation avec ma mère pour aller vivre à Tazmalt chez mon oncle paternel  ‘’Vava Saïd’’ que je découvre pour la première fois de ma vie ? Vous voyez bien, moi, et ma petite sœurs en bas âges, nous sommes ballotés d’un endroit à un autre comme des objets sans valeur, alors qu’on a rien fait de mal à personne dans un contexte de la Guerre d’Algérie qui faisait rage à cette époque de l’année 1959. On a été transportés dans une Jeep de troupe escortée par un convoi militaire.

– Séparé de vos parents et confié à des proches, le sentiment de rejet et la rudesse des conditions de vie vous ont poussé à mettre le cap sur Alger. Là aussi, malgré l’environnement propice à l’épanouissement, vous vous êtes retrouvés … dans la rue. Mais, vous avez survécu à toutes les épreuves. Qu’est-ce qui vous a permis à chaque fois de sortir la tête de l’eau ?
-Il y a beaucoup à dire, je n’en parlerais que des faits ayant marqué mon adolescence. Après avoir terminé mon cycle scolaire primaire. A la maison on me fit comprendre que mon oncle n’avait pas les moyens de m’assurer la continuité de ma scolarité. Je me retrouve obligé de participer aux travaux de la ferme avec le reste de mes cousins. Les tâches principales étaient le pâturage des bêtes, la quête de l’eau à la fontaine et bien d’autres sortes d’auxiliaires domestiques. Nous sommes à l’année 1965, je venais d’avoir à 14 ans. Alors que les travaux de la ferme sont pénibles et harassants, il fallait se projeter sur mon avenir, je sentais que ma place n’étais pas à la ferme, mais ailleurs. Je dois trouver une issue de sortie à cette vie trop dure pour moi et sans aucune perspective. De là, je quitte Tazmalt de mon propre gré pour aller chez ma famille maternelle à Azra à l’effet de trouver de l’aide, du réconfort et espérer une prise en charge pour un avenir plus promoteur. En plus, revoir mes oncles, ma grande mère que je n’ai pas revue depuis que j’ai quitté Azra en 1959. Nous sommes en 1968, le séjour à Azra ressemble à peu près à celui d’autrefois. Morne et rudimentaire !
Après ce séjour, nous rejoindrons le domicile de mes oncles à Alger, plus précisément à Belouizdad où vivaient mes deux oncles et leurs progénitures. Les jours passent et se ressemblent, aucune prise en charge de leur part. Je ne fais que déambuler autour des avenues et boulevards de la ville d’Alger.
C’est le désespoir qui se profile à l’horizon. J’étais dans l’indifférence générale de ma famille qui ne m’aidait en rien à construire mon avenir. Après avoir passé environs trois mois, un de mes oncles décide de me mettre à la rue en plein mois de décembre de 1968. à peine 17 ans, sans un centime en poche, ni papiers d’identité, en plein capitale de l’Algérie. Comment s’en sortir ? Comment pouvoir expliquer qu’un oncle met dehors son neveu orphelin sans aucun motif valable en plein hiver. C’est la tempête dans ma pauvre tête. Que faire ? Où aller ? Ce jour là, je passerai ma première nuit dehors dans un hall de bâtiment situé du côté de Lafarge à Hussein Dey.
C’est le parcours du combattant qui commence. J’ai erré de gauche à droite en enchainant de petits boulots allant de plongeur, de serveur d’épicerie et biens d’autres métiers juste pour m’en assurer le gîte et le couvert. Entre temps, une main tendue m’a permis de trouver un travail dans une fabrique de cosmétiques pour une durée d’environ 18 mois d’activité pleine avec une rémunération stable.

… le bout du tunnel ?
-Je décide de prendre des cours du soir en comptabilité en parallèle à mon travail dans une école privée moyennant le paiement des cours. Je me suis dis que la seule chose qui peut me conduire à un avenir meilleur était les études. La volonté inébranlable, le courage, la persévérance et la patience étaient ma seule force. Mon but était de démontrer à tous mes détracteurs que le chemin du succès est possible, il faut juste croire en soi. C’est la seule voie que je peux réaliser en comptant uniquement sur moi et personne d’autres.
Après avoir obtenu mon CAP de comptabilité en une année de formation, je me retrouve recruté au sein d’une entreprise publique avec à la clé des formations en alternance dans le domaine de la gestion des finances et de la comptabilité. Mes études et formations ont duré 14 années pleines en décrochant tous les diplômes successifs, allant jusqu’au Master en Administration des Affaires obtenu auprès de l’Université du Québec à Montréal. Je voudrais signaler que mes études ont été prises en charge à chaque fois par les différentes entreprises où j’ai exercé, soit à plein ou à mi-temps. Voilà le secret de la réussite !

-Vous dites avoir « une revanche à prendre sur la vie ». L’avez-vous prise après avoir, entre autres, retrouvé votre chère mère et percé dans la vie ? Ce fût un déclic pour vous, n’est-ce pas ?
-Ma revanche, je dirais oui ! Parti de rien venant de la campagne en passant de l’enfer au paradis. Oui, c’est une belle revanche que j’ai pris sur la vie. Le fait d’avoir fait des études et un parcours professionnel remarquable. Une vraie réussite. Pour les retrouvailles avec ma mère ce n’est qu’un instinct naturel d’un fils vis-à-vis de sa mère. Je voulais la retrouver après 18 années de séparation. Les retrouvailles étaient émouvantes des deux côtés. Quant aux raisons, la vie nous a séparés indépendamment de notre volonté.

-Abordons un peu l’aspect narratif dans votre livre. Le contexte de l’époque, la guerre, les lieux, les liens sociaux et les traditions en Kabylie… on vous sent influencé par des auteurs !
-Ayant vécu mon enfance durant la Guerre de libération nationale, les images du colonialisme restent toujours présentes ; l’école avec les instituteurs français, les Sections administratives spécialisées (SAS) furent cernées de fils barbelés, les convois militaires, les bombardements des avions, les maisons incendiées… c’était la terreur partout. Ces images ne s’oublient pas. Quant aux liens sociaux de la vie, tels que les maisons kabyles à la toiture en tuiles, ils reflétaient le mode de vie des gens de la terre, ayant hérité des traditions berbères. Famille, animaux et produits alimentaires étaient logés sous un même toit. Il en est également du village (Thaddart) où les sages s’y rencontraient pour débattre des problèmes et préoccupations des habitants. Au moment des moissons, mon oncle fit appel à des proches pour venir à ‘’Tiwisi’’, ‘’Timechret’’ ou ‘’Louziâa’’, comme opérations de solidarité. L’entraide est une des valeurs des citoyens dans cette région du pays. J’ai vécu au milieu de ces traditions et habitudes qui restent gravées à jamais dans ma mémoire. Concernant les auteurs qui m’ont influencé, naturellement c’est Victor Hugo dans son roman ‘’Les Misérables’’. Notamment la pauvre Cosette, fille naturelle de Fantine, abandonnée par sa mère, qui n’arrivait pas à subvenir à ses besoins par manque de ressources. Elle a été obligée d’abandonner et de confier la garde de sa fille chez la famille les Thénardier qui, malheureusement, n’ont pas pris bon soin de la petite en faisant d’elle la domestique en la maltraitant. C’est un peu ce que j’ai subi au milieu de mes proches.

-Pour finir, y a-t-il un retour d’échos auprès des lecteurs ?
-Ils sont nombreux. Mais les mots qui reviennent sont le courage, la volonté, la persévérance, la passion, le pardon et bien d’autres échos relevés par les lecteurs de mon livre. Je vous laisse lire ce que m’a confié l’un d’eux : « J’ai lu votre livre si émouvant et tant rempli de richesses de vie. Je ne compte pas les pages où des larmes s’échappaient de mes yeux ! Nous avons un parcours semblable dans le sens où je suis né dans une ferme où je devais aussi faire deux kilomètres chaque jour. J’ai moi aussi été et suis toujours orphelin (…)
Farid Guellil

Article précédentDirecteur sportif du stade brestois à propos de l’arrivée de Belaïli : « On ne s’attendait pas à un tel engouement »
Article suivantConstantine : Recul du nombre d’oiseaux migrateurs dans les zones humides